Trente ans après les faits, l’affaire Katell Berrehouc revient sur le devant de la scène judiciaire. Ce cold case, longtemps resté sans réponse, aurait pu sombrer dans l’oubli. Il a fallu une vigilance administrative et une volonté judiciaire rare pour éviter l’irréparable : la destruction des scellés, dernier lien matériel entre la justice et la vérité.
11 mai 1995 : le drame
Ce jour-là, Katell Berrehouc, 19 ans, est retrouvée morte dans la chambre de ses parents, au domicile familial d’Auvers-sur-Oise. L’étudiante a été étranglée avec son legging. C’est son petit frère qui découvre le corps en fin d’après-midi. Les premières constatations laissent soupçonner un viol, et un profil ADN masculin est détecté sous les ongles de la victime.

Katell Berrehouc © photos du journal le parisien
Les enquêteurs explorent toutes les pistes, interrogent l’entourage, élargissent le cercle des suspects et procèdent à un prélèvement massif : environ 700 hommes âgés de 25 à 45 ans, habitants de la commune, sont testés. Une première en France, un an avant l’affaire Dickinson, où une telle méthode sera de nouveau utilisée. En vain. En 2005, faute de suspect, l’enquête est close par un non-lieu.
Le rôle crucial de l’administration et des « petites mains »
Le dossier aurait pu définitivement disparaître. Mais un simple mail, rédigé par un agent consciencieux de la police scientifique, change le cours des choses. Constatant l’imminente destruction des scellés, ce dernier alerte le parquet de Pontoise, donnant huit jours pour statuer. Le parquet, engagé dans une initiative locale de relance des affaires non résolues, réagit sans délai : les scellés seront conservés… et réanalysés.
Une initiative visionnaire, prémices de ce que met en œuvre aujourd’hui le PCSNE (Pôle des Crimes Sériels ou non élucidés). En 2018, soit 23 ans après les faits, un nouveau profil ADN est extrait et soumis au FNAEG (Fichier national automatisé des empreintes génétiques). Cette fois, le résultat tombe : un match est établi avec Cyril E., un homme connu pour des faits de violences, vols et agressions sexuelles.
2025 : le procès, épilogue judiciaire d’un long combat
Trente ans plus tard, le procès s’ouvre devant la cour d’assises. Si la question de la prescription aurait pu se poser, elle ne s’applique pas ici, grâce à la persistance des enquêteurs et du parquet, qui n’ont jamais abandonné.
Pour mieux comprendre les ressorts de cette affaire et rendre hommage au travail accompli, plusieurs membres de l’association AVANE ont assisté à l’audience du vendredi 16 mai.
Le matin, le témoignage bouleversant de Yann, le frère de Katell, marque la salle. Il raconte l’impact dévastateur de ce drame sur sa vie et celle de sa famille. Une vie à jamais transformée par une perte violente. Il faut un courage immense pour venir à nouveau affronter la justice, revivre les souvenirs et verbaliser l’indicible.
Son émotion et la dignité constante de la famille seront saluées par l’avocat des parties civiles.
L’après-midi, c’est au tour de Cyril E. de comparaître. Carrure de rugbyman, voix fluette, il répond aux questions de manière évasive, esquive les responsabilités, et n’apporte aucune réponse à la famille venue chercher une vérité qu’il semble incapable de livrer. Il n’a jamais reconnu les faits, ni dans cette affaire, ni dans les procédures précédentes pour agressions sexuelles. Il paraît peu probable qu’il reconnaisse, devant la cour d’assises et ses proches, une culpabilité bien plus lourde encore — et ce malgré la présence de son ADN sur les ongles de la victime, sur son gilet et sur le legging ayant servi à l’étrangler.
Le verdict est attendu lundi 19 mai 2025 après-midi, après les plaidoiries de la défense. Une ultime épreuve pour la famille, avant peut-être de pouvoir enfin tourner la page.
Des scellés aux aveux manqués : ce que cette affaire nous apprend
Cette affaire rappelle avec force à quel point la conservation des scellés est cruciale. Sans ADN, aucun élément n’aurait permis de relier le mis en cause à la scène de crime : aucun témoin, aucune téléphonie, aucune preuve tangible, si ce n’est quelques traces biologiques, restées invisibles pendant des décennies.
On estime que dans 90 % des homicides, le nom du meurtrier figure déjà dans le dossier. Ici, ce n’était pas le cas. Relier les faits à cet homme, commercial et père de famille, non fiché à l’époque (le FNAEG a été créé par la loi du 17 juin 1998), relevait de l’impossible.
C’est la rigueur de l’archivage, l’instinct d’un fonctionnaire et la persévérance de la justice qui ont fait la différence.
La loi du 30 septembre 2024, modifiant l’article 41-4 du Code de procédure pénale pour permettre la conservation des scellés pendant 10 ans après la prescription, prend ici tout son sens.