À l’occasion de la 21ème édition du festival Quais du Polar à Lyon, qui a eu lieu du 4 au 6 avril, deux experts d’Interpol ont été invités à présenter la campagne IDENTIFY ME. Parmi eux, François-Xavier Laurent, membre de l’association AVANE.
« Frontières ». Avec un tel thème, rien de plus naturel pour le festival Quais du Polar 2025 que de proposer une conférence sur la campagne IDENTIFY ME d’Interpol.
Lancée en mai 2023 et relancée en octobre 2024, IDENTIFY ME vise à identifier 47 femmes dont les corps ont été retrouvés dans différents pays européens. Si Interpol a décidé de ne présenter que des victimes féminines dans cette campagne, c’est parce que les femmes sont surreprésentées chez les victimes de crimes, mais également chez les personnes non identifiées. C’est alors la double peine pour ces femmes : mortes dans des circonstances violentes et privées d’identité dans leur mort. IDENTIFY ME consiste donc en un large appel à témoins mondial, ultime espoir de donner une identité à ces femmes, dont les familles attendent certainement des nouvelles quelque part dans le Monde.
Pour cela, Interpol n’a pas hésité à adopter une communication marquante pour le public.
La femme qui n’était pas seule, La femme de la frontière, La femme en tenue d’homme…
Avec des noms qui évoquent des titres de polars, l’objectif assumé d’Interpol est d’interpeller le public, afin que le plus grand monde s’intéresse à ces 47 dossiers. La stratégie est gagnante puisque 3 000 messages ont été reçus depuis le début de la campagne, auxquels il faut ajouter 30 millions de visites sur le site internet. Les messages en question peuvent provenir de proches de femmes disparues qui reconnaissent ou pensent reconnaître un détail de ces dossiers. D’autres n’ont aucun lien avec une femme disparue, mais se souviennent, par exemple, avoir acheté le même bijou que celui porté par une victime et offrent alors de précieuses informations techniques aux enquêteurs. Enfin, des détectives en herbe font leur propre enquête sur la base des informations publiques disponibles et peuvent proposer des pistes intéressantes à creuser. Tous les messages sont étudiés et des concordances parfois troublantes laissent penser aux enquêteurs qu’ils tiennent enfin l’identité d’une de ces femmes disparues. Mais ces espoirs sont bien souvent mis à mal par la science : les comparaisons génétiques ou études des empreintes digitales viennent infirmer ces pistes.
À deux reprises, pourtant, l’appel d’Interpol a porté ses fruits.
La femme à la fleur tatouée et la femme dans le poulailler sont aujourd’hui identifiées
En juin 1992, le corps d’une femme est retrouvé dans la rivière Groot Schijn à Anvers, en Belgique. Sa caractéristique principale : un tatouage en forme de fleur, avec l’inscription « R’Nick ». Plus de 30 ans plus tard, quelques jours après la première campagne IDENTIFY ME, une personne au Royaume-Uni reconnaît le tatouage à la BBC et prévient les autorités. En novembre 2023, Rita Roberts est formellement identifiée. Elle avait 31 ans en février 1992, lorsqu’elle a quitté Cardiff pour rejoindre Anvers. Elle avait envoyé une carte postale à sa famille et n’avait plus jamais donné de nouvelles.
À plus de 1 000 kilomètres au sud, en août 2018, le corps d’une femme est retrouvé pendu dans un poulailler de la province de Gérone, en Espagne. Elle n’avait aucun papier d’identité sur elle et les personnes vivant dans la ferme ne l’avaient jamais vue. Il y a quelques semaines seulement, les autorités paraguayennes ont réalisé des comparaisons avec leurs bases de données et ont établi que cette femme était l’une de leurs ressortissantes : Ainoha Izaga Ibieta Lima. Des prélèvements ADN et d’empreintes digitales avaient été réalisés sur le corps et renseignés sur une notice, publiée à l’ensemble des pays membres d’Interpol. De son côté, le Paraguay avait émis une notice de recherche de personne disparue pour Ainoha Izaga Ibieta Lima, mais sans y joindre de données biométriques. Aucun rapprochement n’avait donc été fait jusqu’à présent. C’est grâce à la nouvelle campagne IDENTIFY ME et la pression supplémentaire mise sur les pays que des recherches plus poussées ont été réalisées au Paraguay et que les empreintes digitales du corps dans le poulailler ont matché avec cette Paraguayenne disparue.
Si Ainoha Izaga Ibieta Lima s’est suicidée, le crime ne fait aucun doute pour Rita Roberts, qui a reçu plusieurs coups de couteau. Maintenant que cette jeune femme a retrouvé une identité, les enquêteurs vont devoir élucider ce meurtre, 33 ans après les faits. Pour que sa famille ait enfin toutes les réponses.
Vers une plus grande coopération internationale dans la résolution de cold cases
Il n’est pas dans les habitudes d’Interpol de s’adresser directement aux citoyens et de rendre publics des éléments de ses notices. Mais devant l’engouement du public et le succès d’IDENTIFY ME, Interpol souhaite poursuivre sur cette voie, en élargissant le concept. La question du financement sera évidemment à prendre en compte et la nécessité de développer un partage automatique des données devra être réaffirmée. Cela ne viendrait pas en contradiction avec l’indépendance de chacun des pays et leurs réglementations, car aucune donnée n’est directement transmise d’un pays à un autre, c’est Interpol qui sert de plateforme. Réseau organisé et puissant, Interpol se veut facilitateur des relations entre services d’enquête des 196 pays membres. En s’intéressant à tous les cas, même ceux habituellement mis au second plan par les enquêteurs.
3 questions à François-Xavier Laurent
Chez AVANE, nous nous intéressons particulièrement à deux affaires de cette campagne IDENTIFY ME : « La femme dans la Meuse » et « La femme à la bague Jean et Nelly ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Pour la femme à la bague, nous pensions que l’affaire allait rapidement être résolue compte tenu de la spécificité du bijou retrouvé, mais toutes les enquêtes administratives n’ont rien donné pour le moment. Nous avons différentes hypothèses sur cette bague “Jean et Nelly”. S’agit-il de jumeaux nés à cette date ? D’un couple marié ? Tous les registres fouillés par la police n’ont pour l’instant rien donné. Nous en appelons donc au public, en espérant que cette date rappelle quelque chose à quelqu’un, en France ou dans un autre pays. Les recherches sur Jean et Nelly n’ont pour l’heure été faites que dans certains départements français. Il n’y a pas de “Google des mariages” ; il faut aller rechercher dans chacun des registres, qui ne sont pas forcément numérisés pour les années 1960. Retrouver cette information implique un véritable travail de généalogiste. La bague est gravée de la date “25.06.60”, mais nous ignorons finalement s’il s’agit de l’année 1960 ; nous n’avons pas d’informations sur l’âge réel du bijou. Il est également possible que cette date n’ait rien d’officiel, mais soit seulement un souvenir de rencontre. Il est très difficile d’aller dans toutes les directions, mais il faudrait au moins pouvoir croiser tous les mariages français impliquant Jean et Nelly. À moins de se rendre dans chacune des communes de France, voire des autres pays francophones, il sera difficile d’obtenir un résultat.
La femme dans la Meuse est un cas intéressant, car nous avons pu publier une excellente reconstitution faciale de la victime. Nous avons très peu d’informations sur cette femme, mis à part le fait qu’elle avait une cicatrice sur le côté droit du visage, d’environ 4 centimètres de long. Toutes les recherches qui ont été faites jusqu’à présent ont malheureusement fait chou blanc. Il nous arrive d’avoir des témoignages intéressants, mais nous nous rendons compte ensuite que cela ne correspond pas à la personne que nous recherchons.
Comment une association comme AVANE ou plus généralement des citoyens peuvent-ils se rendre utiles ?
Malgré le travail remarquable des enquêteurs qui identifient rapidement de nombreuses victimes, chaque pays dispose d’affaires de corps non identifiés, enterrés sous X et le nombre de ces affaires non résolues augmente avec le temps. En l’absence d’identification nationale, il est primordial d’utiliser la coopération nationale policière via Interpol pour tenter d’identifier ces personnes qui peuvent provenir d’un autre pays. Malheureusement, cette opportunité n’est pas saisie de manière systématique et c’est une vraie perte de chance pour les victimes et leurs familles.
Je pense que les familles ont un énorme rôle à jouer pour faire changer les choses, notamment dans le cadre de l’automatisation des recherches internationales. Les lois concernant les personnes disparues et les cadavres enterrés sous X doivent s’adapter au monde d’aujourd’hui et être plus favorables à l’identification des victimes nationales et étrangères. Les morts sous X devraient en théorie faire l’objet de prélèvements biologiques et de comparaisons dans les bases biométriques nationales et internationales afin de faciliter une éventuelle identification future, mais dans les faits, ce n’est malheureusement pas systématique.
La France est le premier pays touristique au Monde et une terre d’immigration. Beaucoup d’étrangers se rendent dans notre pays et en cas de décès et en l’absence de documents d’identité sur eux, leur identification est très compliquée sans une comparaison de données biométriques. Si nous ne mettons pas tout en place pour identifier ces corps, il ne faut pas s’étonner que les autres pays ne fassent pas l’effort inverse. C’est un effort commun à faire, et la France doit être pionnière de ces échanges.
Qu’est-ce qui vous a amené à intégrer l’association AVANE ?
J’ai travaillé dans la police scientifique pendant 8 ans et je travaille aujourd’hui à Interpol, où la coopération internationale est centrale. Je vois que dans plusieurs pays du Monde, les procédures concernant la recherche des personnes disparues et l’identification des cadavres sont globalement plus standardisées qu’en France. Beaucoup d’évolutions efficaces sont mises en place pour s’assurer que toutes les pistes (dont celles internationales) soient systématiquement étudiées. Il y a également une réelle volonté politique d’accompagner les familles et de résoudre ces enquêtes, avec un degré d’importance égal à celui d’une enquête criminelle. Il faut aller de l’avant et considérer que les enquêtes sur les personnes disparues et les corps non identifiés devraient être une priorité pour la police, qui devrait également bénéficier de plus de moyens.
Tout devrait être mis en place pour apporter des réponses aux familles le plus rapidement possible. Il faut se mettre à la place de ces familles qui n’ont pas de nouvelles de leurs proches. Si c’était mon cas, j’aimerais savoir que tout a été mis en œuvre pour retrouver mon proche disparu. Ma participation à l’association AVANE a pour but de proposer des axes d’amélioration pour augmenter les chances d’identification, notamment avec les autres pays, via la comparaison systématique des données biométriques à la disposition des enquêteurs.