Bonjour Clément AMOUYAL, vous signez l’ouvrage « La véritable enquête sur Le Grêlé » publié aux éditions FLAG. Pouvez-vous, dans un premier temps, vous présenter ?
Clément AMOUYAL : J’ai 43 ans, suis marié, papa d’une petite fille de 8 ans. Originaire de Paris, je vis dans les Hauts-de-France depuis bientôt 20 ans. Je suis chef de projets web à la Voix du Nord depuis 2015 et bénévole au sein de l’association Avane depuis mai 2024.
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas l’affaire du tueur au visage grêlé, pouvez-vous la présenter rapidement ?
Clément AMOUYAL : L’affaire du Grêlé, c’est 35 années de traque hors norme, faite de hauts, de bas et surtout de nombreux rebondissements. Elle débute en mai 1986, après la découverte du corps de Cécile Bloch, 11 ans, dans le sous-sol de sa résidence du 19ème arrondissement. Le tueur a croisé plusieurs témoins ce matin-là, qui lui ont trouvé une peau du visage irrégulière. D’où le surnom de Grêlé. Malgré les rapprochements avec d’autres affaires et de nombreux indices accumulés, les enquêteurs se cassent les dents sur l’identification de ce criminel en série qui semble avoir totalement disparu des radars depuis juin 1994. Il faudra attendre septembre 2021 et le suicide de François Vérove pour qu’enfin cette affaire connaisse son épilogue. À ce jour, on a la certitude que le Grêlé a commis 4 meurtres et des dizaines de viols et de cambriolages entre 1986 et 1994. Mais il a certainement fait bien plus de victimes que celles identifiées car son nom revient avec insistance dans de nombreux cold-cases (Affaire Virginie Delmas, Perrine Vigneron, Édith Martinet…).
La traque de ce tueur a longtemps été l’un des plus vieux cold-cases de France. À titre individuel, quand et comment avez-vous entendu parler de cette affaire ?
Clément AMOUYAL : J’entends parler de cette affaire pour la première fois en 2018, en visionnant tout bêtement un reportage à la télévision. Je suis surpris de n’avoir jusqu’ici jamais entendu parler du Grêlé car j’habitais Paris à la période où il y commettait des crimes. Je trouve l’affaire aussi terrible que passionnante, un mystère plane autour de ce criminel insaisissable, capable d’apparaître et disparaître à sa guise, de commettre des crimes très différents et de changer de mode opératoire.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous investir personnellement dans cette affaire ?
Clément AMOUYAL : Cette même année 2018, mon employeur lance une série de podcasts sur les grandes affaires criminelles. L’affaire du Grêlé me paraît totalement adaptée. La médiatiser pourrait de surcroît permettre de faire émerger de nouveaux témoignages et pourquoi pas un témoignage décisif. C’est dans cet état d’esprit que je commence à me plonger dans cette affaire.
Vous racontez dans votre ouvrage, comment vous vous êtes investi dans cette affaire. Sans trop en raconter pour ne pas divulgâcher votre livre, pouvez-vous nous expliquer quelles ont été vos principales contributions ?
Clément AMOUYAL : En premier lieu, j’ai essayé de lire et visionner tout ce qui avait fait jusqu’alors sur cette affaire non élucidée. Afin de synthétiser les éléments, trier le vrai du faux… J’ai fréquenté les forums de discussion spécialisés, posé de nombreuses questions et de fil en aiguille réussi à tisser des liens avec des « experts » de l’affaire. Ils m’ont fait découvrir une autre facette du dossier, des rapprochements possibles qu’on ne trouvait pas dans les reportages grand public. J’ai donc pris l’initiative de contacter ces victimes présumées, pour recueillir leur témoignage et y voir plus clair. Je relayais les témoignages que je trouvais édifiants aux enquêteurs, au cas où. J’ai aussi pu retrouver l’ancienne inspectrice principale de la Brigade des Mineurs Annie Peaudeau dont je détaille le travail d’enquête dans ce livre. Elle m’a beaucoup aidé dans ce travail. En parallèle, j’ai participé au montage d’un site web et d’une page sur les réseaux sociaux pour faire mieux connaître cette affaire, partager les portraits-robots afin que de potentielles nouvelles victimes se manifestent et tenter de faire émerger un témoignage décisif.
Le 29 septembre 2021, la France apprend le suicide de François Vérove, policier à la retraite qui sera confondu plus tard comme étant le Tueur au visage Grêlé, recherché depuis 35 ans. Quel est le sentiment principal qui vous habite à ce moment-là ?
Clément AMOUYAL : C’est un coup de massue, un moment que j’espérais sans trop y croire. Je tente de rester prudent tant que la confirmation ADN n’est pas là, mais le fait qu’il ait laissé une lettre confessant avoir été un criminel laisse peu de place au doute. Je pense aux victimes, aux familles de victimes. Je suis abasourdi par le profil de ce François Vérove, ex-garde républicain, ex-flic, père de famille, ex- élu local… Un type « banal », parfaitement intégré, insoupçonnable. En France il est certainement le criminel en série identifié qui était le mieux intégré à la société. Il existait un profond clivage entre François Vérove et le Grêlé, sa face sombre. Mais après l’euphorie du début, apparaît aussi une pointe de déception car il s’est suicidé et va échapper à la justice. Il est parti avec beaucoup de ses secrets et ce n’est pas une bonne nouvelle pour toutes celles et ceux qui attendaient une confrontation lors d’un procès d’assises afin de comprendre ce qui l’avait fait basculer dans l’horreur ou encore de savoir s’il avait pu faire d’autres victimes.
Récemment, le meurtre de Gilbert Gaudry a été ajouté à la liste des faits imputés à Vérove. Cela vous a-t-il surpris ?
Clément AMOUYAL : Oui et non. Oui du fait du profil de la victime : un homme de 43 ans tué dans un bois d’une balle dans la nuque. On est loin de la fillette ou de l’adolescente violée et étranglée. Pour l’heure il s’agit du seul meurtre par arme à feu attribué à François Vérove. Et non car il est clair que François Vérove a encore des cadavres dans le placard. Son parcours criminel démontre qu’on ne peut rien exclure par défaut. L’enquête qui reste ouverte pourrait bien permettre de lui découvrir d’autres victimes qu’on n’avait jusqu’ici pas pu rattacher au Grêlé.
Dans sa lettre posthume, François Vérove avoue s’être « pris en main » et « n’avoir plus rien fait depuis 1997 ». Le croyez-vous ?
Clément AMOUYAL : Bien malin celui qui saura apporter une réponse à cette question. Je ne crois pas que François Vérove ait gaspillé ses derniers instants pour continuer à mentir à son épouse. Mais je suis aussi convaincu qu’il est resté dangereux jusqu’à la fin de sa vie. Certes, sa psychothérapie de 1997 semble avoir eu un effet sur lui. Tout comme son départ dans le sud de la France au début des années 2000 qui l’a éloigné du théâtre de ses crimes. François Vérove était un homme pragmatique, était-il vraiment « guéri » ou simplement conscient des progrès de la police scientifique ? Il était policier, il ne faut pas l’oublier, il savait mieux que quiconque que du fait des progrès scientifiques et technologiques il ne pouvait plus se permettre le moindre écart de conduite.
Après si on se base sur les faits uniquement, à ce jour on ne trouve plus la trace du Grêlé sur une scène de crime de juin 1994 à sa mort en septembre 2021. Mais les enquêteurs ont quand même retrouvé du matériel pédopornographique chez François Vérove à La Grande-Motte lors de la perquisition de 2021 (cassettes vidéo, CD-Rom, historique Internet…). Il avait aussi conservé son attirail de criminel caché dans le garage (anciennes cartes de gendarmerie, arme de service…), et il archivait des documents sur ses anciennes victimes dans son ordinateur, s’était renseigné sur elles… Vérove avait peut-être mis le Grêlé en sommeil, mais il ne l’avait certainement pas tué. Peut-être canalisait-il certaines pulsions persistantes grâce à Internet ?
La traque du Grêlé s’est achevée, même si l’enquête se poursuit. Vérove ne pourra cependant jamais être jugé pour ses crimes, et il emporte avec lui, sans doute, quelques secrets. Êtes-vous frustré par ce dénouement ?
Clément AMOUYAL : Oui bien sûr, de nombreuses questions restent en suspens, de nombreuses victimes dans la nature. Quel était le véritable mobile du double homicide du Marais commis en avril 1987 ? Du meurtre de Gilbert Gaudry en juin 1990 ? D’où vient le pseudonyme Elie Lauringe ? Voici trois exemples de questions pour lesquelles les réponses seront difficiles à trouver. Son suicide complexifie aussi la tâche consistant à retracer sa jeunesse et les événements qui ont pu le faire basculer dans l’horreur. François Vérove a vécu certaines choses durant l’enfance, mais il n’a clairement pas tout confié. Pour les victimes, les enquêteurs et les passionnés de cette affaire, cela est extrêmement frustrant.
Enfin, avez-vous un autre cold-case qui vous passionne, et sur lequel vous souhaiteriez vous investir et apporter votre concours ?
Clément AMOUYAL : Pour l’instant je reste concentré sur l’affaire du Grêlé dont j’ai commencé l’écriture de la deuxième partie. L’affaire Pelicot m’intéresse aussi, bien au-delà du procès des violeurs de Mazan car il a probablement lui aussi commis plusieurs crimes dans les années 80 et 90 à Paris et en région parisienne. Je pense notamment au viol et au meurtre de Sophie Narme en 1991 pour lequel il a été mis en examen récemment mais pour lequel faute d’aveux et de preuve (scellés perdus), il risque de bénéficier d’un non-lieu. Je consacrerai prochainement un article à cette affaire sur le site web de l’association.