La prescription peut être vécue comme une injustice pour les familles des victimes ou comme un compte à rebours maudit pour les enquêteurs. Remontons toutefois aux raisons d’être initiales de ce concept légal. Les connaître offrira également une mise en perspective dans notre société actuelle.
La Suisse partage ici avec son voisin français la notion de droit à l’oubli de la faute, partant du principe que le temps permet de faire le deuil de l’infraction pour la victime ou sa famille (1). Tout comme l’idée que le temps offre l’opportunité à l’auteur de changer, et qu’il aura porté la croix des remords et de la peur de la condamnation tout au long des années écoulées.
D’un point de vue moins philosophique, la poursuite pénale devient elle aussi plus compliquée au fil du temps : dégradation des preuves dû au temps qui passe, pertes de souvenirs des témoins, risque augmenté de témoignages fragiles ou imprécis (1).
La prescription dans le code pénal suisse
En Suisse, la prescription est déterminée par les articles 97 à 101 du code pénal (2). La prescription est divisée en deux éléments distincts : la prescription de l’action pénale et la prescription de la peine. Dans la situation spécifique des affaires non-élucidées, nous nous intéresserons en particulier à la prescription de l’action pénale, soit la période au-delà de laquelle il n’est plus possible de poursuivre un auteur.
Si les délais varient, le point de départ afin de calculer ce délai est identique en tous les cas : le jour où l’acte punissable a été commis, le jour du dernier acte s’il a été effectué à plusieurs reprises (multiples homicides par exemple), ou encore le jour où les agissements répréhensibles ont cessé s’ils étaient inscrits dans la durée (les violences conjugales pourraient illustrer ce dernier cas de figure).
La prescription de l’action pénale n’est interrompue que si un jugement de première instance a été rendu. Les actes interruptifs de prescription n’existent plus dans le nouveau système de droit pénal (3).
Les délais de prescription
Une proportionnalité existe entre la gravité des faits et le délai de prescription (2).
| Peine privative de liberté encourue | Délai de prescription |
|---|---|
| Réclusion à vie | 30 ans |
| Plus de 3 ans | 15 ans |
| 3 ans | 10 ans |
| Moins de 3 ans | 7 ans |
A titre indicatif, le droit suisse prévoit les peines privatives de liberté suivantes :
- Assassinat : 10 ans au minimum, la réclusion à vie est encourue (art. 112)
- Meurtre : 5 ans au minimum (art. 111)
- Élément de lViol sous la menace d’une arme ou d’un objet dangereux : 3 ans au moins (art. 190 al. 3) iste #3
- Infanticide (meurtre de l’enfant par la mère, durant l’accouchement ou encore sous l’influence de l’état puerpéral) : peine pécuniaire ou peine privative de liberté de 3 ans au plus (art. 116)
Actuellement, sont imprescriptibles les crimes contre l’humanité, le génocide, les crimes de guerre et crimes à caractère terroriste.
Depuis 2013, suite à une première initiative populaire (proposition citoyenne d’ajouter ou modifier un article de la Constitution fédérale) votée en 2008, les actes d’ordre sexuels ou pornographiques sur des enfants de moins de 12 ans sont également imprescriptibles (4).
La prescription en pratique
Rapportée à des dossiers existants, cela implique par exemple que l’affaire Emiliya Emilova (morte en 2014) sera prescrite en 2029 s’il s’agissait d’un acte non-prémédité, ou en 2044 s’il s’agit d’un assassinat. Si dans son cas et dans celui d’Harald Lindner (mort en 2012) un peu de temps reste à disposition des enquêteurs même dans un contexte d’actes non-prémédités, d’autres dossiers connaissent des situations plus compliquées.
Les morts de Karl Paul Dittmann (2009), Ana Paula Arruda (2006) et Imri Djeledini (2003) pourraient ne plus être pénalement punissables s’ils s’agissaient d’actes non prémédités. Toutefois en cas d’assassinat, les auteurs devront encore répondre de leurs actes devant la justice.
Vers une modification de la loi ?
En janvier 2019, une initiative a été déposée afin d’abolir la prescription concernant les actes criminels pouvant entraîner un emprisonnement à vie (4).
Examinée par le Conseil des États (représentation des 26 cantons suisses) en mars 2025, la décision est désormais à l’étude au Conseil National (représentation de la population suisse) avant une possible entrée en vigueur de cette modification légale (5).
Cette proposition repose en partie sur l’évolution des moyens scientifiques à disposition du monde judiciaire, permettant de résoudre des crimes mêmes des années plus tard. L’un de ces outils est notamment l’exploitation de l’ADN.
Notre article sur l’affaire Katell Berrehouc illustre une situation de ce type.