Élucidé en mai 2022, 36 ans après les faits, suite aux aveux d’Yves CHATAIN, le meurtre de Marie-Thérèse BONFANTI constituait l’un des plus vieux cold-cases de France. Mis en examen et placé en détention provisoire pour enlèvement, séquestration et meurtre, son meurtrier présumé a pourtant été remis en liberté sous contrôle judiciaire le jeudi 7 décembre 2023, après que la Cour de cassation ait retenu le principe de prescription, mis en avant par Yves CHATAIN et ses avocates. Le dossier a été renvoyé devant la cour d’appel de Lyon pour être jugé à nouveau. Cette décision était qualifiée de « juridiquement logique car la Cour de cassation a prononcé la prescription, mais humainement, de message négatif pour la famille, les enquêteurs et les proches » par Maître Bernard BOULLOUD, avocat de la partie-civile. Dans l’attente de l’arrêt crucial de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Lyon, le 6 décembre prochain, dont on espère qu’elle résistera à la position de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Une disparition inquiétante
Le mercredi 22 mai 1986, Marie-Thérèse BONFANTI, une jeune mère de famille, disparaît alors qu’elle distribue des journaux en Isère, dans la commune de Pontcharra, une petite ville tranquille située dans la vallée du Grésivaudan, à 25 kilomètres environ au nord-est de Grenoble. Vers 15h45, Thierry, son mari, qui rentre du travail, aperçoit la Peugeot 104 de sa femme, stationnée à proximité d’une grande bâtisse de la commune de Pontcharra, située au 1140 Avenue de la Gare. Là même où elle devait déposer une liasse de journaux à un collègue, locataire d’un des appartements. En approchant, il se rend compte que le coffre du véhicule est resté grand ouvert, que le sac à main de son épouse est resté posé sur un siège et que les clés sont toujours sur le contact. Comme si cette dernière s’était volatilisée et avait abandonné là sa voiture, en toute hâte. Très inquiet, il pénètre dans le hall de la grande maison, qui fait office de parties-communes et où la liasse de journaux a bien été déposée. Mais aucune trace de sa femme, ou encore de son collègue. Il fonce ensuite à leur domicile, mais là aussi, n’y trouve personne. C’est à ce moment qu’il reçoit un appel téléphonique de la nourrice de leurs deux enfants, Marie-Thérèse n’étant pas venu les chercher à 16h00 comme prévu. En fin de journée, toujours sans nouvelle de sa femme, Thierry BONFANTI alerte la gendarmerie de Pontcharra. Les militaires écartent très rapidement l’éventualité d’une disparition volontaire, la jeune mère de famille n’ayant aucune raison particulière de se volatiliser ainsi et d’abandonner sa famille, son mari et ses deux enfants. Dans les jours qui suivent, les enquêteurs quadrillent le terrain et passent au crible l’emploi du temps de la jeune-femme. Ils apprennent ainsi, par des voisins, que Marie-Thérèse a bien été vue pour la dernière fois vers 15h30, à Pontcharra, avenue de la Gare, à proximité de la grande maison divisée en appartement où elle devait livrer ses journaux et où sa voiture a été retrouvée. La bâtisse en question est passé au peigne-fin, mais aucun indice n’y est découvert. Même constat dans la voiture de Marie-Thérèse BONFANTI ou encore dans son sac-à-main, au sein duquel rien n’a été dérobé.
A cette époque où les capacités offertes par la police scientifique sont rudimentaires, c’est une enquête difficile qui débute pour les gendarmes, qui manquent cruellement d’éléments matériels et n’ont même pas de corps. Des battues sont organisées dans les bois, les champs alentours et les zones reculées de Pontcharra. Les étangs sont sondés. Mais sans résultat.
Un « cri de femme terrifiée, long et dégressif »
Tout naturellement, un homme fait figure de premier suspect dans cette affaire : le fameux collègue à qui Marie-Thérèse BONFANTI devait déposer la liasse de journaux. Sauf que ce dernier est très rapidement mis hors de cause, car à l’heure où cette dernière a été vue pour la dernière fois, il se trouvait à la maternité, en compagnie de son épouse, qui était en train d’accoucher ! Un alibi confirmé et indiscutable.
En second lieu, comme souvent dans ce type de dossier, les enquêteurs de la gendarmerie vont s’intéresser à Thierry BONFANTI, le mari de la victime disparue. Bien que ce soit lui qui ait donné l’alerte, il est avéré qu’il était à Pontcharra vers 15h45, le jour de la disparition de sa femme et qu’il y avait même vu son véhicule, comme il l’avait déclaré. Alors, pourrait-il avoir un lien avec la disparition de Marie-Thérèse ? Thierry est placé en garde-à-vue par les gendarmes qui veulent en savoir plus sur la relation qu’il entretenait avec sa femme et son emploi du temps le jour des faits. Bien qu’effondré et très impressionné, ce dernier se montre coopératif. Aucune incohérence n’est mise en évidence dans son propos et aucun élément suspect n’est découvert le concernant. Sa relation avec son épouse et ses enfants est décrite aux gendarmes comme heureuse et harmonieuse. Au terme de sa garde-à-vue, les enquêteurs ont acquis la conviction que ce dernier n’a absolument rien à voir dans la disparition de cette dernière. Il ressort libre et ne sera plus inquiété.
Lors de leur enquête de voisinage, les gendarmes vont recueillir le témoignage de deux agents SNCF, qui étaient en activité à la gare de Pontcharra, le jours des faits. Ces derniers se souviennent avoir entendu « un cri de femme, terrorisée, long et dégressif » aux alentours de 15h30, le 22 mai 1986. Cri qui, selon eux, semblait provenir de la « maison de la gare », cette grande bâtisse située au n°1140 de l’avenue de la Gare, face à laquelle voiture de Marie-Thérèse BONFANTI était stationnée et où elle devait déposer la liasse de journaux à son collègue. Cette « maison de la gare » est aussi couramment dénommée « maison CHATAIN » par les habitants de Pontcharra, du nom des propriétaires, la famille CHATAIN. C’est d’ailleurs un membre de cette famille, Yves CHATAIN, un jeune-homme d’une vingtaine d’années, qui gère les six appartements loués dans la bâtisse. Ce dernier habite une maison située juste derrière, en suivant un petit chemin le long de la voie ferrée. Aux gendarmes, Thierry BONFANTI déclarera se souvenir avoir vu Yves CHATAIN, le 22 mai entre 15h45 et 16h00, alors qu’il cherchait son épouse dans la bâtisse. Et s’être rendu compte que ce dernier le fixait avec insistance, depuis son jardin, d’un regard qui l’avait mis mal à l’aise. Et l’avait incité à rapidement quitter les lieux. Le profil de cet ouvrier métallurgiste, âgé de 21 ans et décrit comme « solitaire et ombrageux » par ses voisins, attire rapidement la curiosité des enquêteurs de la gendarmerie, car il s’avère déjà bien connu des services de police, ainsi que de la justice :
- en 1979, alors qu’il n’avait que 14 ans, il tente de commettre des attouchements sur une femme de 31 ans qui circulait à vélo. Cette dernière ne dépose pas plainte mais vient trouver ses parents, qui le sermonnent. Six mois plus tard, Yves CHATAIN retrouve cette femme et cette-fois, lui assène plusieurs violents coups de bâtons. Ce qui lui vaut une première condamnation
- en avril 1985, au volant de son véhicule, Yves CHATAIN poursuit une voiture dans laquelle se trouve une femme seule et la force à s’arrêter. Auprès de cette dernière, il prétend vouloir aider, car une des roues de son véhicule serait mal fixée. Mais à peine est-elle sortie, qu’il tente de l’étrangler. Heureusement, la jeune femme hurlant, ce dernier relâche son étreinte et elle réussit à prendre la fuite. Puis dénonce son agresseur qui écope d’une amende et de huit mois de prison avec sursis. Aux gendarmes, CHATAIN avait alors fourni une inquiétante justification, expliquant avoir été pris d’une pulsion : « ce jour là j’avais les nerfs en boules, je voulais frapper quelqu’un pour me défouler »
Du fait des mentions portées à son casier judiciaire, Yves CHATAIN fait donc figure de suspect sérieux pour la gendarmerie, d’autant que les enquêteurs découvrent qu’en plus de cela, en octobre 1981, à l’âge de 16 ans, il avait aussi été placé en garde-à-vue et entendu, suite à la découverte du corps d’une femme de 41 ans, Liliane CHEVENEMENT, retrouvée étranglée non loin de son domicile. Un crime pour lequel, faute de preuves, rien n’avait pu être retenu contre lui. Désormais placé en garde à vue et entendu dans le cadre de la disparition de Marie-Thérèse BONFANTI, Yves CHATAIN ne se démonte pas. Ce « grand gaillard, plutôt bourru » a réponse à tout. Oui, il reconnaît avoir aperçu la voiture de Marie-Thérèse BONFANTI garée devant chez lui, mais il prétend ne pas l’avoir vu elle et qu’il n’a ainsi pas grand-chose à dire. Après treize heures de garde-à-vue, bien qu’ils ne l’aient pas rayé de la liste des suspect, les gendarmes se rendent compte qu’ils n’en tireront rien, mais surtout, qu’ils n’ont absolument aucun élément justifiant une éventuelle mise en examen. Yves CHATAIN ressort libre.
Et suite à cette garde-à-vue, l’enquête de la gendarmerie s’enlise peu à peu : Marie-Thérèse BONFANTI ne réapparaît pas, amenuisant le peu d’espoir qui restait de la retrouver vivante et aucun élément matériel ne permet d’ouvrir de piste et de mettre en examen un suspect en particulier. C’est dans ce contexte, que le 2 novembre 1987, au grand dam des proches de Marie-Thérèse, l’affaire BONFANTI est classée sans suite. Un non-lieu est prononcé en juin 1988 par le juge d’instruction en charge du dossier. Faute d’élément nouveau, l’enquête ne pourra être rouverte.
Les disparues de Pontcharra
Plus largement, entre 1981 et 1986, au sein de la seule commune de Pontcharra, le constat est assez terrible : trois femmes s’y sont mystérieusement volatilisées et le corps d’une seule d’entre-elles y a été retrouvé. Une telle répétition de drames faisant planer l’ombre d’un criminel en série sur cette « petite ville tranquille », qui en 1986, comptait à peine 5.000 habitants :
- Le 30 juillet 1981, Liliane CHEVENEMENT, une secrétaire de 41 ans disparaît lors de sa pause déjeuner. Elle est retrouvée plus de deux mois après, le 5 octobre 1981, étranglée avec du fil de fer, à quelques centaines de mètres du domicile d’un certain Yves CHATAIN, alors âgé de 16 ans. Un meurtre jamais élucidé et pour lequel ce dernier a été placé en garde-à-vue avant d’être libéré, aucun élément ne pouvant être retenu contre lui
- Le 9 mai 1985, Marie-Ange BILLOUD, une jeune-femme de 19 ans, disparaît alors qu’elle s’apprête à quitter Pontcharra pour se rendre à Chambéry. Elle travaille alors comme tuciste (personne employée dans le cadre d’un Travail d’Utilité Collective) à la Maison de la Culture de Chambéry et s’y rend régulièrement en train ou en stop depuis son domicile. Elle est vue pour la dernière fois par des témoins le 9 mai 1985, sur le pont de la Gâche, à Pontcharra, en train de faire du stop et n’est jamais réapparue depuis
- Le 22 mai 1986, Marie-Thérèse BONFANTI se volatilise à son tour alors qu’elle distribuait des journaux dans la commune de Pontcharra. Son véhicule est retrouvé devant « la maison CHATAIN » le coffre grand ouvert, les clés sur le contact. Et le sac à main de la jeune-femme, qui n’a pas été fouillé, est resté à l’intérieur. Tout comme lors de l’affaire CHEVENEMENT, Yves CHATAIN est placé en garde-à-vue, mais libéré faute de preuves.
Faute de preuves, aucun rapprochement concret ne peut être réalisé à l’époque entre ces trois affaires. Bien que l’idée commence à faire son chemin dans la tête des enquêteurs et des familles des victimes.
Au Printemps 1991, près de cinq ans après la disparition de Marie-Thérèse BONFANTI, la municipalité de Pontcharra décide de préempter la « maison de la gare », mise en vente par ses propriétaires, la famille CHATAIN. Elle envisage de raser complètement la bâtisse pour y construire des commerces. Un projet contre lequel la famille BONFANTI s’insurge, car pour ses membres, des preuves en lien avec la disparition de Marie-Thérèse pourraient toujours se trouver dans cette maison ou le terrain attenant. Ainsi, le projet de destruction envisagé par la municipalité fait grand bruit dans la vallée du Grésivaudan et la presse locale s’en empare. C’est à cette période, que pour la première fois, la famille BONFANTI est contactée par Janine BILLOUD, la mère de Marie-Ange, persuadée que la disparition de sa fille, le 9 mai 1985 a un lien avec celle de Marie-Thérèse près d’un an plus tard. Et que ce lien ne serait autre qu’Yves CHATAIN.
Mais les familles BILLOUD et BONFANTI ont beau remuer ciel et terre, les affaires des disparitions de Marie-Ange et Marie-Thérèse ne sont pas rouvertes pour autant par les instances judiciaires. Faute d’éléments nouveaux. Leurs demandes répétées que des fouilles minutieuses soient menées au sein de « la maison de la gare » à Pontcharra ne sont pas entendues et en janvier 1992, cette dernière est même détruite, comme le souhaitait la municipalité. Les deux familles assistent à cette destruction, manifestant leur colère à cette occasion. Et c’est alors qu’elles protestent, qu’elles découvrent la présence d’une dalle en béton située dans l’arrière-cour de l’immeuble. Et sous cette dalle, balayée par un bulldozer, apparaissent des ossements. Que Janine BILLOUD, la mère de Marie-Ange, récupère un à un, minutieusement, persuadée qu’il pourrait s’agir des restes de sa fille ou de Marie-Thérèse BONFANTI. Dans la foulée, Madame BILLOUD rédige une lettre au sein de laquelle elle accuse clairement « son voisin » Yves CHATAIN d’avoir tué sa fille, « cette dernière ayant l’habitude de faire du stop devant sa maison ». Elle fait photocopier ce courrier en plusieurs exemplaires et le placarde dans divers endroits de la commune de Pontcharra. Ce dernier l’attaque alors en diffamation et gagne. Janine BILLOUD est condamnée à quinze jours de prison en première instance, une peine réduite à une amende de 6.000 Francs en appel. D’autant que contrairement à ce qu’elle croyait, l’étude des ossements qu’elle avait récupéré lors de la destruction de la « maison CHATAIN » n’avait pas donné le résultat escompté : il s’agissait intégralement d’ossements d’animaux, qui n’avaient ainsi absolument aucun lien avec la disparition de sa fille et celle de Marie-Thérèse BONFANTI.
De son côté, la mère de Marie-Thérèse BONFANTI n’hésite pas à embaucher plusieurs détectives privés, sur ses fonds propres, afin de mener des contre-enquêtes, espérant qu’ils puissent découvrir de nouveaux indices en lien avec la disparition de sa fille. Elle participe aussi à l’émission Témoin n°1, animée par Jacques PRADEL, espérant susciter des témoignages en mesure de relancer l’enquête. Mais sans succès. En parallèle, cette dernière ne lâche pas les gendarmes. Elle passe plusieurs fois par semaine à la gendarmerie de Pontcharra, afin de questionner les enquêteurs, savoir s’ils ont du nouveau et quand l’enquête sur la disparition de Marie-Thérèse sera rouverte. Mais les années défilent et rien ne bouge.
En désespoir de cause, Eugène, le frère de Marie-Thérèse BONFANTI reprend l’ensemble des rapports d’investigation. Persuadé que le nom du coupable se trouve quelque part dans les pièces du dossier. Muni de ces copies de pièces, avec d’autres membres de la famille, il reprend l’enquête à zéro et mène une véritable « analyse criminologique » du dossier que l’avocat de la famille, maître Bernard BOULLOUD, qualifie de « très pointue ». Ce travail de titan est restitué sous la forme d’un mémoire que la famille BONFANTI fait parvenir à l’association ARPD (Assistance et Recherche de Personnes Disparues), dont elle sollicite l’assistance. Convaincus par la qualité du travail mené, les enquêteurs de l’ARPD le font parvenir au parquet de Grenoble, avec l’espoir que cela puisse faire pencher la balance et que l’enquête soit enfin rouverte et confiée à un magistrat instructeur.
Un mystère vieux de 36 ans
Au printemps 2020, ledit mémoire arrive sur le bureau d’Éric VAILLANT, tout juste nommé procureur de la République de Grenoble. Convaincu par les arguments déployés par la famille, ce dernier annonce, en mai 2020, la réouverture de l’enquête sur la disparition de Marie-Thérèse BONFANTI. 34 ans après sa disparition ! En juin 2021, une information judiciaire contre X est ainsi ouverte pour « enlèvement et séquestration ». Et Éric VAILLANT confie les investigations à une toute nouvelle unité de gendarmerie qui vient d’être mise en place au sein de la SR de Grenoble : la cellule cold-case, une première en France, au sein duquel trois gendarmes sont détachés. Ces derniers, en se basant sur le mémoire remis par la famille de Marie-Thérèse BONFANTI, acquièrent rapidement la conviction que le suspect fait partie des anciens habitants du 1140 Avenue de la Gare. Étant donné le créneau très court entre lequel Marie-Thérèse BONFANTI a été vue pour la dernière fois et celui ou des « cris de femme longs et dégressifs » ont été entendus par les deux agents de la SNCF qui avaient témoignés en 1986. S’intéressant à nouveau aux résidents de la « maison de la gare » à cette époque, les gendarmes de la cellule cold-case entourent eux-aussi le nom d’Yves CHATAIN, 21 ans au moment des faits. Et effectuent dès lors un travail minutieux afin de reconstituer les versions livrées à l’époque par ce dernier et vérifier leur pertinence, ainsi que leur cohérence. Au printemps 2022, cette tâche accomplie, les enquêteurs concluent que le temps est venu de réentendre Yves CHATAIN au sujet de la disparition de Marie-Thérèse BONFANTI. Désormais âgé de 57 ans, ce dernier a quitté Pontcharra après la destruction de sa maison, en 1992. Il est devenu chauffeur-routier et habite un chalet à l’écart d’un petit bourg Savoyard d’à peine 400 habitants.
Le 8 mai 2022, les gendarmes du pôle cold-case de Grenoble frappent à sa porte. Bien que surpris, il les accompagne sans opposer la moindre résistance pour être placé en garde-à-vue. Et après plusieurs heures d’interrogatoire très serré, les gendarmes reprenant point à point les éléments du dossier, le mettant face à ses contradictions, l’ancien ouvrier métallurgiste finit par craquer : il avoue le meurtre de Marie-Thérèse BONFANTI et en livre même les circonstances : vers 15h25, ce 22 mai 1986, Marie-Thérèse BONFANTI aurait « très mal garé » sa voiture pour livrer sa liasse de journaux. En effet, selon CHATAIN, son véhicule bloquait la voie d’accès vers sa maison. Énervé, il le lui aurait reproché et s’en serait suivie une vive altercation verbale. Mais une fois ses journaux déposés, la jeune-mère de famille serait revenue le voir, exigeant des excuses, eut égard à son « mauvais comportement » quelques instants plus tôt. N’ayant pas supporté d’être ainsi confronté, il aurait alors perdu les pédales, attrapé la jeune-femme par le cou et l’aurait étranglée.
36 années de mystère venaient de trouver leur épilogue pour des enquêteurs qui n’en demandaient pas tant ! Yves CHATAIN est aussitôt mis en examen et placé en détention provisoire.
Informés de ces aveux par les gendarmes, c’est d’abord un sentiment de soulagement qui domine chez les proches de Marie-Thérèse BONFANTI. Mais aussi de colère, comme l’explique Thierry, son époux, tant « l’ensemble de la famille était persuadé depuis un bon moment déjà de la culpabilité d’Yves CHATAIN ». Quant au mobile avancé par ce dernier, il paraît totalement fantaisiste et improbable aux proches de Marie-Thérèse. Comme si le meurtrier avait eu besoin de minimiser les faits, se victimiser et affirmer qu’il aurait agi en réponse à une agression.
Cet épilogue redonne aussi de l’espoir à la famille BILLOUD, qui n’a jamais cessé de se battre afin que la vérité soit faite au sujet de la disparition de Marie-Ange, à Pontcharra, en 1985. Des proches plus que jamais persuadés de l’existence d’un lien avec l’affaire BONFANTI et de l’implication, là aussi, d’Yves CHATAIN. Exigeant désormais que la gendarmerie procède de la même manière qu’elle a pu le faire dans le cadre de l’affaire BONFANTI. Ces derniers sont entendus car une information « contre X » est aussitôt rouverte par Maître Bernard BOULLOUD, sur plainte avec constitution de partie civile à l’initiative des proches. Mais dans ce dossier, il reste complexe pour les enquêteurs d’accumuler le moindre élément à l’encontre d’Yves CHATAIN. Ce dernier continuant de clamer son innocence. Le dossier est ainsi, encore à ce jour, en cours d’instruction au tribunal judiciaire de Grenoble
Enfin, à l’automne 2022, la gendarmerie entame des recherches afin de localiser le corps de Marie-Thérèse BONFANTI. Car lors de sa garde-à-vue, Yves CHATAIN avait désigné une zone, à proximité de Pontcharra, où il aurait dissimulé le corps. Après avoir étranglé la jeune-femme, ce dernier avait expliqué avoir ensuite chargé son cadavre dans sa voiture et s’en être débarrassé à La Buissière, à environ 5km de là. Au bout de trois semaines de recherches, le 26 octobre 2022, les gendarmes découvrent un crâne ainsi qu’un bouton pression et un bout de tissu. Les expertises ADN effectuées démontrent bien qu’il s’agit du crâne de Marie-Thérèse BONFANTI.,
L'ultime bataille contre la prescription
Mais nouveau rebondissement dans l’affaire BONFANTI, courant novembre 2022 les deux avocates d’Yves CHATAIN réclament l’annulation de sa mise en examen pour cause de prescription. En effet, selon elles, les faits datant de mai 1986, ils seraient trop anciens pour être jugés. Dans un premier temps, la demande est rejetée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Grenoble. Mais en janvier 2023, Yves CHATAIN et ses avocates saisissent la Cour de cassation, qui de son côté, annule, en novembre 2023, la décision de la Cour d’appel de Grenoble et estime que le meurtre est bien prescrit. Un verdict dont le parquet de Grenoble fait immédiatement appel et un dossier dont la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon se retrouve alors saisie.
Dans la foulée, par l’intermédiaire de ses avocates, Yves CHATAIN transmet une demande de remise en liberté. Elle est acceptée le 7 décembre 2023. Il peut dès lors sortir de prison, mais toujours mis en examen reste toutefois sous contrôle judiciaire, dans l’attente de l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon.
La chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon doit donc examiner l’appel des parties civiles et du procureur général. Lors de l’audience qui s’est déroulée devant cette dernière, le 24 mai 2024, Maître Bernard BOULLOUD, avocat de la famille BONFANTI, s’insurge contre la prescription retenue par la Cour de cassation à propos du meurtre de Marie-Thérèse « Yves Chatain ayant sciemment dissimulé le meurtre de Marie-Thérèse BONFANTI depuis le 22 mai 1986, jusqu’au 9 mai 2022, nous allons demander à la justice de considérer que la prescription d’un meurtre sciemment dissimulé doit avoir pour point de départ soit le jour de l’aveu d’Yves CHATAIN, soit le jour de la découverte du corps de Marie-Thérèse BONFANTI. Et non le 22 mai 1986, jour du meurtre. » détaille Maître BOULLOUD. L’avocat de la famille met également sur la table une « question prioritaire de constitutionnalité (ou QPC) ». Au vu de cette QPC, la chambre de l’instruction sursoit à statuer dans l’attente de la décision de la cour de cassation sur le renvoi de cette QPC au conseil constitutionnel.
La cour de cassation ayant rejeté la transmission de la QPC devant le conseil constitutionnel, c’est maintenant à la chambre d’instruction de trancher : la dissimulation d’un cadavre ne doit-elle pas être considérée comme un obstacle de fait à la manifestation de la vérité ? Et ainsi repousser le délai de prescription ?
Une question majeure, à laquelle la réponse apportée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon, le 6 décembre 2024, est attendue avec impatience par l’ensemble des protagonistes du dossier BONFANTI, mais aussi les parties-civiles de nombreuses autres affaires criminelles. Car si ce verdict, lourd de conséquences, pourrait bien faire jurisprudence et permettre l’ouverture d’autres procès pour des crimes considérés comme prescrits jusqu’alors, Maître BOULLOUD, qui se veut optimiste, est toutefois conscient que si la Cour d’appel de Lyon lui répond par la négative, « ce sont des dizaines et des dizaines de dossiers judiciaires qui vont ainsi passer aux oubliettes ». Ce qui lui paraît totalement inconcevable.
Toutefois, ce dernier, qui représente à la fois les familles BONFANTI et BILLOUD, appelle déjà l’ensemble des protagonistes à rester pleinement mobilisées, même en cas d’une décision rendue en faveur de la partie-civile, car « la bataille ne sera pas gagnée pour autant », le verdict devant ensuite suivre son cours jusqu’à l’assemblée plénière de la Cour de cassation où il devra être adopté. C’est pourquoi, il envisage d’ores et déjà d’aller plus loin et de demander que soit directement ajoutée dans le code de procédure pénale une mention qui clarifierait ce type de situation : la dissimulation d’un corps ou d’une scène de crime constitue un obstacle de fait qui rend insurmontable l’exercice de l’action publique. Ce qui, de facto, permettrait de faire courir le délai de prescription d’un meurtre dissimulé à la découverte du corps ou de la scène de crime et de lever toute ambiguïté, comme c’est actuellement le cas dans le dossier BONFANTI.
Par C.Amouyal pour association-avane.fr