Durant plus de vingt ans, la justice française s’est cassée les dents dans l’identification d’un violeur en série au mode opératoire bien rôdé. Un agresseur ciblant des jeunes-filles de 15 à 19 ans, qu’il enlevait dans des zones urbanisées, afin de les conduire dans des secteurs boisés et isolés pour abuser d’elles, avant de les y abandonner presque nues. Retour sur une enquête hors norme, au cours de laquelle la justice française a dû faire appel aux experts du FBI, pour enfin réussir à démasquer le criminel. Un cold-case, devenu le premier, en France, résolu grâce à la technologie de la généalogie génétique !
L'ombre d'un violeur en série
4 décembre 1998
Clara* une lycéenne de 15 ans sort de cours et rentre chez elle à pied. Après environ cinq-cents mètres parcourus, un véhicule s’arrête à son niveau. Le conducteur l’appelle, visiblement il cherche son chemin. Mais à peine a-t-elle passé la tête à la fenêtre ouverte du véhicule qu’il la saisit par le col et la menace à l’aide d’un couteau « si tu cries ou si tu tentes de t’échapper, je te tue ! ». Contrainte de monter dans la voiture, le ravisseur la fait mettre à genoux, à l’arrière et lui recouvre le visage avec son sac d’écolière, afin qu’elle ne puisse distinguer la route. Il roule ainsi environ une demi-heure avant de s’arrêter dans un recoin isolé de la commune de Ballon, entre La Rochelle et Rochefort. Toujours sous la menace du couteau, Clara* est forcée d’accompagner son ravisseur le long d’un chemin situé dans une zone boisée et marécageuse. Ce dernier la fait arrêter, la déshabille et la viole. Son méfait accompli, il s’amuse avec son couteau, jouant à en placer la lame sous la gorge puis sur le bras de sa victime terrifiée. Avant de disperser ses vêtements dans des buissons, puis de prendre la fuite, l’abandonnant totalement nue. Prise en charge par la gendarmerie, Clara* décrit un homme de type européen, d’environ 30 ans, les cheveux bruns coupés courts, mince, les yeux bleus, le visage émacié et parlant un français parfait, sans accent. Le sperme prélevé par le médecin légiste qui auscultera la jeune victime permettra d’établir le profil génétique de son violeur. Un criminel que les gendarmes ne seront pas en mesure d’identifier
1er avril 1999
Une Peugeot 205 de couleur foncée circule au pas dans les rues de la petite commune de Verrières-le- Buisson, dans le département de l’Essonne. Lorsque le chauffeur repère Sophie*, une étudiante de 18 ans, qui patiente seule à un arrêt de bus, il stoppe son véhicule auprès de cette dernière et l’aborde, afin de lui demander sa route. Menacée d’un cutter, elle n’a d’autre choix que de s’installer à ses côtés. La forçant à rester recroquevillée à l’arrière et la tête baissée, ce dernier roule une vingtaine de minutes, jusqu’à l’entrée d’un petit Bois situé à Saint-Aubin, toujours dans l’Essonne, non loin de la vallée de Chevreuse. C’est à l’abri des regards, dans ce bois, que toujours sous la menace de son cutter, il la viole. Puis l’abandonne nue, après avoir pris soin de disperser ses vêtements dans les buissons. Les traces de sperme qui seront prélevées par le médecin légiste qui auscultera la victime, permettront d’établir le profil génétique du violeur. Un violeur que la victime décrira ainsi : type européen, environ 35 ans, plutôt grand (1m80 à 1m85), mince, cheveux courts bruns, yeux bleus. Mais bien que munis de cette description et du modèle de véhicule conduit par ce dernier, les enquêteurs ne retrouveront pas la trace du criminel.
16 avril 2000
Un an plus tard, Karine*, une adolescente de 15 ans est capturée, sous la menace d’une arme blanche, par un homme au volant d’une voiture qui lui demande sa route, alors qu’elle patientait seule à un arrêt de bus de la commune d’Antony, dans les Hauts-de-Seine. Le ravisseur la conduit jusqu’à une châtaigneraie située sur la commune de Limours-en-Hurepoix dans le département de l’Essonne. Non loin de la vallée de Chevreuse. Il la viole dans cette zone boisée et isolée, avant de disperser ses vêtements et de prendre la fuite. Là, aussi, des traces de sperme seront prélevées lors de l’auscultation de la victime, qui permettront de déterminer le profil génétique du violeur. Un homme décrit par cette dernière comme étant : européen, âgé de 30 à 40 ans, grand, brun et les yeux bleus très clairs.
3 juillet 2000
Sandrine*, 18 ans, attend tranquillement son bus à l’arrêt « Place Louis XIV » de la commune de Viroflay, à l’entrée de Versailles, dans les Yvelines. Elle est seule. Lorsqu’une Renault 25 de couleur gris anthracite, portant un petit panneau « à vendre », s’arrête à son niveau. Le conducteur, un homme entre 35 et 40 ans, plutôt grand, lui demande de l’aide. Il sort de la voiture et déplie une carte routière, il semble perdu. Mais lorsque Sandrine* approche, il brandit un couteau « ne fais pas la conne ou je te plante ! ». Elle n’a d’autre choix que de monter dans le véhicule avec ce dernier. Le ravisseur la force à rester recroquevillée à l’arrière durant tout le temps où il la conduit vers une zone boisée et isolée située à Loges-en-Josas. Après avoir pénétré dans le bois, il la force à lui pratiquer une fellation, la viole, puis l’abandonne nue, attachée à un arbre, après avoir pris soin de lui dérober ses deux bracelets, puis de disperser ses vêtements dans le bois. De ce violeur, Sandrine* fournit la description suivante : type européen, 35 à 40 ans, 1m85 environ, cheveux courts bruns, yeux bleus. Le sperme prélevé sur la victime permettra là aussi, de déterminer le profil génétique du violeur.
Les enquêteurs de la SR (Section de Recherches) de Versailles, en charge de cette enquête, entendent le jour même un garagiste qui, sans le savoir, a assisté au rapt de la jeune-fille. Alors qu’il fumait une cigarette avec un collègue, il avait bien vu une Renault 25 grise anthracite à laquelle « il manquait deux baguettes de porte côté gauche » stationnée près de l’arrêt de bus « Place Louis XIV ». Un homme grand en était sorti, il avait déplié une carte routière et s’était mis à parler avec une jeune-fille, mais il avait pris cela pour une « technique de drague ». Alors il ne s’était pas inquiété de voir la voiture redémarrer avec la jeune-fille à l’intérieur. Malgré la description précise qu’il fournit de la Renault, recherchée par les enquêteurs, la voiture restera introuvable car c’est un listing de près de 70,000 véhicules immatriculés en région parisienne qui est fourni aux policiers de Versailles. Difficilement exploitable. Mais quelques semaines plus tard, découvrant lors de leurs investigations le viol de Karine*, s’étant produit trois mois plus tôt à Limours-en-Hurepoix, suivant un mode opératoire identique, une comparaison des profils génétiques des violeurs de Sandrine* et Karine est réalisée. Des profils qui s’avèrent bel et bien identiques. Un même prédateur, au mode opératoire bien rôdé, s’en est ainsi pris à deux jeunes filles en trois mois de temps. Un mode opératoire qui vaut à ce dernier le sobriquet de « prédateur des bois ». Mais faute à l’époque d’une banque de données centralisée officielle suffisamment opérationnelle, le FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétique) venant d’être inauguré et pas encore suffisamment alimenté, les enquêteurs de la SR de Versailles ne sont pas en mesure de rattacher les viols de 1998 et 1999, dont d’autres services ont été saisis des enquêtes. Et malgré l’ensemble des indices recueillis, le temps passant, leur enquête à eux s’enlise. D’autant que depuis juillet 2000 et l’agression de Sandrine, l’étrange violeur semble avoir disparu des radars.
Huit ans plus tard, l’enquête relancée
8 juin 2008
Élisa*, 17 ans, rend visite à une copine qui habite une résidence de la rue nationale dans le 13ème arrondissement de Paris. Suivie par un homme à l’intérieur, à peine est-elle entrée dans l’ascenseur qu’il la menace à l’aide d’un couteau et lui réclame de l’argent. Ce type, plutôt grand, aux cheveux courts et grisonnant la force ensuite à le suivre. Dissimulant son couteau dans la manche gauche de son blouson, il entoure de son bras cachant l’arme les épaules de l’adolescente, lui ordonnant de ne surtout pas crier, de tenter de s’enfuir ou d’adresser la parole à quiconque, sans quoi il n’hésitera pas à la tuer. Mais il faut un badge pour sortir des jardins de la résidence et visiblement, l’homme n’en possède pas. Il reste malgré tout très calme, cherchant une issue, gardant son bras armé enroulé autour des épaules de sa victime. Les caméras de vidéosurveillance de l’immeuble immortalisent cette scène improbable, qui va durer près d’un quart d’heure. On aperçoit ainsi le ravisseur, sous plusieurs angles, chercher à sortir de la résidence avec la jeune Elisa*, marchant à ses côtés, comme s’il était son petit ami. Au bout d’un moment, des jeunes qui discutent dans le jardin de la résidence, se rendant compte que ces derniers semblent coincés à l’intérieur vont leur ouvrir le portillon. Ils sont loin d’imaginer qu’ils viennent d’assister à l’enlèvement d’une adolescente, par un type déterminé et ayant fait preuve d’un sang-froid hors du commun.
Une fois dans la rue, toujours sous la menace de son arme, l’homme force Élisa* à embarquer avec lui à l’intérieur de son véhicule, une Clio bleue, ancien modèle. Et l’oblige à rester recroquevillée à l’arrière, lui ordonnant de baisser la tête pour ne pas regarder la route. Au bout d’une heure de trajet, ils arrivent à la lisière du bois de Champcueil dans le département de l’Essonne. Là, il la fait sortir et l’oblige à pénétrer dans le bois. La menaçant toujours de la lame de son couteau « Fais pas la conne sinon je te plante ! ». Dans un coin isolé, il la fait déshabiller, la viole, puis disperse ses habits dans la nature avant de prendre la fuite, l’abandonnant totalement nue. Prise en charge par la brigade de protection des mineurs, l’adolescente décrit un homme de type européen, âgé d’environ 50 ans, mince mais assez carré au niveau des épaules, les cheveux courts grisonnants, les yeux d’un bleu si clair que son regard perçant semble « métallique » et portant un petit diamant argenté à l’oreille gauche. À la demande des enquêteurs de la BPM, elle assiste un dessinateur de l’identité judiciaire parisienne afin de dresser un portrait-robot du criminel.
Le sperme prélevé par le médecin légiste permettra d’établir le profil génétique de ce violeur. Un profil qui va rapidement incrémenter le FNAEG dans un but de rapprochement. Car en cette année 2008, le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques est totalement opérationnel et déjà bien alimenté. Le comparatif lancé, il s’avère que le profil du violeur d’Élisa* est déjà répertorié, comme étant celui du prédateur des bois, violeur non identifié de deux adolescentes en région parisienne au cours de l’année 2000, Karine* et Sandrine*. Après huit années d’absence, le prédateur des bois venait donc de réapparaître ! Avec un mode opératoire toujours identique, mais n’hésitant pas, cette fois, à capturer sa victime à pied, en plein Paris, au sein d’une grande résidence sécurisée. Les enquêteurs de la Brigade de Protection des Mineurs de Paris récupèrent rapidement les enregistrements des caméras de vidéosurveillance de la résidence où s’est produit l’enlèvement. Mais hélas, l’image est de très mauvaise qualité. Bien trop pixelisée pour qu’ils puissent se faire une idée précise des traits du visage du violeur. Les recherches entreprises ensuite sur le véhicule de ce dernier, une vieille Clio bleue, n’aboutissent pas non plus. Le nombre de « vieilles Clio bleues » immatriculées à Paris et en région parisienne étant trop important. Encore une fois, bien qu’il ait pris des risques, ne se soit pas caché et malgré les rapprochements effectués, le prédateur des bois réussissait à passer entre les mailles du filet.
C’est à l’hiver 2011 que l’enquête connaît un nouveau rebondissement. Lorsque les profils génétiques établis dans le cadre de deux anciennes affaires datant de 1998 et 1999 sont à leur tour versées au FNAEG. Ces affaires, ce sont les viols de Clara*, la lycéenne de 15 ans, près de La Rochelle et de Sophie*, à Saint-Aubin, dans l’Essonne. Dans les deux cas, le profil génétique de leur violeur matche avec celui du prédateur des bois, déjà traqué par la Brigade des Mineurs pour avoir abusé de deux adolescentes, en 2000, puis d’une autre en 2008. Portant donc le nombre de victimes du criminel à cinq ! Du côté des services d’enquête, le doute n’est plus permis, on a clairement affaire à un violeur en série particulièrement dangereux, déterminé et organisé. Qui échappe à la justice depuis désormais près de douze ans. Au vu des lieux choisis pour commettre ses crimes, on imagine avoir affaire à un forestier, quelqu’un qui travaille dans la nature et est un familier des bois et forêts d’Île-de-France. Et qui pourrait être passé par la Charente-Maritime, avant de déménager pour la région parisienne au début de l’année 1999. Le juge d’instruction parisien alors en charge de l’affaire prend deux décisions fortes. En premier lieu, il requiert que soit établi, grâce à l’assistance d’Elisa*, mais aussi sur la base des témoignages des autres victimes, un nouveau portrait-robot du prédateur des bois. Ce dernier, réalisé par un dessinateur expert de l’identité judiciaire parisienne, est diffusé le 5 décembre 2011.
Les autorités lancent alors un avis de recherche ainsi qu’un appel à témoins au sein duquel elles joignent le nouveau croquis réalisé, afin que soit retrouvé cet homme âgé d’une cinquantaine d’années, 1m80 à 1m90, aux cheveux courts bruns grisonnants, aux yeux bleus très clairs donnant l’impression d’un regard « d’acier » et pouvant porter un diamant ou un anneau à l’oreille gauche. En retour, de nombreux témoignages parviennent à la Brigade des Mineurs, qui espère pouvoir identifier de nouvelles victimes, mais aussi, avancer dans l’identification d’un suspect. Mais hélas, ce travail fastidieux ne permettra pas de faire progresser l’enquête.
La seconde décision prise par le juge d’instruction en cette année 2011 est de faire aussi établir par un expert le « portrait-robot psychologique » du prédateur des bois. Pour cela, est désignée une profileuse de la gendarmerie, issue de la SR de Paris, qui rejoint le temps d’accomplir sa mission, le groupe d’enquête de la brigade des mineurs. Quelques mois plus tard, après avoir lu et relu le dossier et s’être rendue sur l’ensemble des lieux d’enlèvement des victimes puis de leur viol, cette dernière remet au juge un rapport complet avec ses conclusions. Selon elle, le prédateur des bois est un « monsieur tout le monde », discret et qui ne se fait pas remarquer dans la vie quotidienne. Quelqu’un de solitaire, qui ne fait pas de vague, mais qui doit pas mal bouger, peut-être du fait de son activité professionnelle. Un métier qui lui permettrait de se dégager suffisamment de temps libre pour enlever et agresser ses victimes en pleine journée. Un type certainement insoupçonnable, prédateur qu’elle qualifie « d’hyper-tranquille », ne prenant aucune précaution particulière lors des passages à l’acte, car jamais inquiété suite à ses divers crimes. Lorsqu’il se met « en chasse », il serait avant tout égocentrique, obnubilé par son besoin du moment, ne se souciant aucunement de devoir prendre des risques. Il ne repérerait pas ses victimes à l’avance, se baladant en voiture dans l’attente de trouver une jeune-fille seule, correspondant à ses critères, avec comme seule projection, la destination finale : un lieu isolé qu’il aurait déjà emprunté, dans un bois ou une forêt de région parisienne. Enfin, concernant les pauses présumées dans son parcours criminel, de 2000 à 2008, puis depuis l’année 2008, cette dernière émet l’hypothèse qu’elles pourraient correspondre à des changements importants dans sa vie, comme la rencontre potentielle d’une compagne, un déménagement, ou encore un changement de vie professionnelle. Elle n’exclut pas, cependant, que suite au viol d’Elisa*, trois ans plus tôt, il puisse continuer à « chasser » de jeunes proies, sans que ces potentiels nouveaux crimes puissent être rattachés à la série. Évitant désormais de laisser son ADN sur les scènes de crime, car ayant tout de même pris conscience des risques encourus.
Sur ces bases de recherches, au cours des années, plusieurs suspects sont identifiés et placés en garde à vue. Et même si certains semblent avoir le profil idéal, tous finissent par être innocentés, comparatif ADN à l’appui. L’enquête s’enlise à nouveau.
L’appel de la « dernière chance »
En 2016, Le prédateur des bois n’ayant toujours pas refait surface, et ce depuis juin 2008, sans nouvelle avancée significative dans l’enquête, le parquet envisage de classer l’affaire. Une idée insupportable pour les enquêteurs, mais aussi les victimes et leurs familles. Reçus par la juge d’instruction ayant repris le dossier, les chefs d’enquête s’opposent catégoriquement à cette fermeture et savent se montrer convaincants, arguant qu’ils disposent au sein du dossier d’un « facteur clé d’identification » : le profil génétique du criminel, qui un jour, ils en sont certains, permettra de le confondre. La magistrate, convaincue, suit leur avis et saisit alors l’OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes) afin de poursuivre les investigations. Spécialisés dans le traitement des « atteintes aux personnes particulièrement complexes », les policiers du GICCS (groupe d’investigations et de coordination sur les crimes en série) de l’OCRVP héritent du dossier. Et se lancent corps et âmes dans la traque du « prédateur des bois », cold-case non élucidé depuis près de 18 ans. Mais hélas, au départ, sans plus de résultat que les précédents enquêteurs s’étant déjà relayés sur l’affaire.
Le 2 avril 2019, la trace du prédateur des bois n’ayant toujours pu être retrouvée sur la moindre scène de crime depuis 2008, ces derniers lancent un nouvel appel à témoins. Estimant désormais l’âge du criminel à une soixantaine d’années, ils ont fait établir un nouveau portrait-robot de ce dernier. Il s’agit d’un portrait-robot vieilli, ayant pour base de départ celui de 2011, mais retraité grâce à un logiciel spécialisé
Mais que ce soit grâce aux témoignages recueillis après ce nouvel appel à témoins, ou encore suite aux fastidieux croisements effectués à partir des listings de propriétaires de Peugeot 205, Renault 25 et Clio immatriculées en région Parisienne, impossible pour les enquêteurs de l’OCRVP d’identifier le prédateur des bois. Des enquêteurs qui, toutefois, ne perdent pas espoir d’arriver à leurs fins.
Car, au mois d’août 2021, la justice française, par l’intermédiaire de la juge d’instruction en charge du dossier, prend une décision forte et jusqu’ici, totalement inédite dans l’hexagone. La magistrate passe une sorte d’appel « de la dernière chance », n’hésitant pas à prendre contact avec les services d’enquête du FBI. La police fédérale américaine, dont elle est consciente qu’elle est à la pointe, pour tout ce qui touche aux technologies de recherche d’ADN en parentèle et de généalogie génétique. Cette dernière disposant d’accès à de puissantes banques de données, le plus souvent privées, alimentées en ADN par des particuliers qui recherchent leurs origines et leurs ancêtres. De l’autre côté de l’Atlantique, de nombreux cold-cases ont ainsi déjà été élucidés suite à des recherches lancées sur ces banques de données. Comme la célèbre affaire du « Golden State Killer », qui a connu son épilogue en 2018, après plus de quarante années d’investigations. Le profil génétique du criminel en série étant connu des enquêteurs américains, ils l’avaient intégré dans plusieurs bases de données généalogiques en ligne. Espérant y découvrir d’éventuelles correspondances entre ce dernier et celui d’un « parent proche ou éloigné » y figurant déjà. Mettant à jour un profil génétique correspondant à un cousin éloigné du suspect, les enquêteurs avaient ensuite fait appel à des généalogistes afin de reconstituer l’arbre généalogique complet du fameux cousin. Et ainsi, à partir des individus figurant dans cet arbre, de constituer une liste de suspects dans la tranche d’âge présumée du criminel non identifié. C’est ainsi qu’ils avaient démasqué un ancien policier Californien, Joseph James de Angelo, 72 ans. Quarante-quatre ans après la commission de son premier crime.
C’était ce savoir-faire, mêlant expertise génétique et généalogie, qu’envisageait d’utiliser la justice française pour démasquer le prédateur des bois. Une technique qui allait obligatoirement nécessiter la collaboration du FBI, car stocker des profils génétiques dans des bases de données privées, à des fins de recherches généalogiques est interdit en France. Cependant, rien n’empêche un citoyen français, pour quelques dizaines d’euros, de faire parvenir son ADN à des sociétés Américaines, propriétaires de telles banques de données ! Restait donc à espérer que le prédateur des bois, ou qu’au moins l’un de ses parents proche ou même plus éloigné ait déjà entrepris cette démarche.
Un certain Bruno LLAMBRICH
C’est ainsi que le 25 août 2021, la juge d’instruction du tribunal judiciaire de Paris, en charge des investigations depuis 2016, sollicite les autorités américaines par le biais d’une commission rogatoire internationale aux fins de recherche et d’analyse génétique et généalogiques. Le FBI, va ainsi officiellement pouvoir se pencher, en collaboration avec les enquêteurs de l’OCRVP, sur un cold-case français vieux de 23 ans. Un nouveau profil génétique est établi afin de pouvoir le comparer aux bases de données privées (le profil génétique des bases de données privées aux USA est différent du profil classique inséré au FNAEG). La police fédérale Américaine va utiliser les mêmes méthodes que celles employées pour démasquer le « Golden State Killer ». À savoir, intégrer ce profil génétique au sein de bases généalogiques privées hébergées aux Etats-Unis.
Sept mois plus tard, courant mars 2022, le FBI reprend contact avec la justice française. Ses enquêteurs assurent avoir réussi à identifier, dans un arbre généalogique, le profil ADN d’un français qui pourrait bien être un parent éloigné du prédateur des bois. L’homme identifié par les fédéraux est un breton, né en 1991 et passionné de généalogie, qui avait confié un échantillon de son ADN à une banque de données Américaine pour retrouver ses ancêtres. Les enquêteurs français, sur les conseils de leurs homologues américains, vont alors, avec l’aide de généalogistes, reconstituer l’arbre généalogique de cet homme. Un travail de titan. Ils remontent ainsi jusqu’aux arrières-arrières grands-parents de l’individu en question, avant de redescendre, à la recherche d’un suspect parmi l’ensemble des hommes de la famille. C’est ainsi qu’après quelques mois de recherches minutieuses, après avoir redescendu les branches de l’arbre sur trois générations, ils entourent le nom d’un certain Bruno LLAMBRICH. Le profil de cet ancien chauffeur livreur, âgé de 62 ans, né à Paris, célibataire sans enfants et habitant la commune de Courtry, en Seine-et-Marne, les intéresse tout particulièrement. Car après de rapides recherches, les enquêteurs découvrent qu’en 1983, à l’âge de 23 ans, ce dernier a été condamné à deux mois de prison, pour un attentat à la pudeur avec violence commis sur une jeune auto-stoppeuse ! Mais point de précipitation, ni d’euphorie du côté de l’OCRVP où la prudence reste de mise. De plus amples recherches sont lancées sur ce suspect potentiel. Des investigations qui vont s’avérer payantes, car même si depuis son « dérapage » de 1983, l’homme n’a jamais refait parler de lui, les enquêteurs découvrent que, mise à part pour l’agression de 1998 à La Rochelle, ce dernier vivait non loin des lieux d’enlèvements, ainsi que des bois et forêts choisis par le prédateur des bois pour abuser de ses victimes. Mais aussi qu’en 2000, il était bien propriétaire d’une Renault 25 gris anthracite, véhicule utilisé pour enlever Sandrine* à Viroflay et décrit par le témoin garagiste ayant assisté à la scène. Enfin, cerise sur le gâteau, sur la base de photos qu’il réussissent à se procurer, les enquêteurs se rendent compte que son physique correspond aux descriptions fournies par les victimes du prédateur des bois.
Ces éléments probants réunis, le 13 décembre 2022, à la demande de la juge d’instruction, Bruno LLAMBRICH, est interpellé à son domicile de Courtry, où il vit depuis cinq ans en concubinage avec sa compagne. Ce dernier n’oppose aucune résistance et lorsque les policiers lui exposent le contenu de leur commission rogatoire, malgré le choc que cela provoque chez sa compagne, lui, ne semble pas plus surpris que cela. Interrogé à de multiples reprises lors de sa garde-à-vue, Bruno LLAMBRICH reconnaît très rapidement l’enlèvement et le viol d’Élisa*en 2008. Mais, dans un premier temps, pas les quatre autres agressions, commises entre 1998 à 2000, dont il dit ne plus se souvenir. Puis les heures passant, le mode opératoire ne laissant que peu de doute, il finit par admettre avoir enlevé et violé Sophie*, Karine* et Sandrine*. Mais continue à nier être impliqué dans l’agression de Clara*, près de La Rochelle, en 1998, bien que le profil génétique du violeur soit le même que celui identifié pour les autres crimes. Et à propos de profil génétique, un prélèvement salivaire est aussitôt effectué, avec son accord, lors de sa garde à vue. Afin que soit établi, en urgence, celui de ce dernier. Et lorsque le résultat tombe, comme les aveux partiels de leur suspect le laissaient déjà entrevoir, la magistrate et les enquêteurs obtiennent la confirmation tant attendue : Bruno LLAMBRICH est bien le prédateur des bois. Le coup de poker avait été payant, la recherche en ADN de parentèle, effectuée avec le concours du FBI, puis le minutieux travail de généalogie qui s’en était suivi, venaient de permettre d’élucider un cold-case vieux de 24 ans ! Une première en France !
Un dramatique épilogue
Mais l’enquête n’était pas terminée pour autant. Restait désormais aux policiers de l’OCRVP à mieux comprendre qui était exactement ce Bruno LLAMBRICH et à déterminer s’il n’avait pas fait d’autres victimes. Notamment entre 2000 et 2008, ainsi que depuis juin 2008, jusqu’à la date de son arrestation. L’entourage du prédateur des bois est entendu. Un homme décrit par ses voisins comme avenant, poli, gentil et discret. Retraité actif, ancien chauffeur-livreur, ayant aussi exercé en tant qu’animateur social auprès des jeunes. Impliqué dans la vie associative de sa petite commune et qui s’était même présenté sur une liste écologiste aux municipales de 2020. Car de l’avis de tous, Bruno LLAMBRICH était avant tout un amoureux de la nature, qui connaissait par cœur tous les bois et toutes les forêts de la région parisienne ! Interrogées, deux de ses sœurs sont stupéfaites, comme le rapportent les journalistes du Parisien « ce n’est pas possible qu’il ait fait ça, c’est tellement énorme… on a l’impression d’être dans la quatrième dimension… Vous êtes en train de nous présenter un autre homme, qu’on ne connaissait pas ». Quant à sa compagne, elle brosse aux enquêteurs le portrait d’un homme doux et attentionné qui aimait se balader à moto ou bien randonner en forêt. « Si c’est lui, je suis dégoûtée » lâche-t-elle sous le choc, ne pouvant y croire.
Mis en examen au terme de sa garde à vue et placé en détention provisoire, Bruno LLAMBRICH est réentendu à plusieurs reprises par la juge d’instruction en charge de la poursuite des investigations. Au fur et à mesure des entretiens, ce « grand gaillard peu bavard » commence à se livrer à la magistrate, expliquant avoir contracté le VIH durant l’année 1980, suite à une transfusion sanguine réalisée lors d’une opération chirurgicale. Un véritable choc, à cette époque où le virus tuait des milliers de personnes chaque année en France. Puis revenant sur les attouchements commis en 1983 et lui ayant valu sa seule et unique condamnation jusqu’ici, il évoque, comme retranscrit par les journalistes du parisien, une « pulsion » : « J’ai un profond regret, un profond dégoût de moi-même pour ce geste, je ne comprends pas pourquoi. C’est tout un mélange là, qui explose en tête et qui fait qu’on passe à l’acte. Ce n’est pas moi et pourtant je ne pouvais pas m’en empêcher ». C’est ainsi cette même « pulsion » qui, selon lui, l’aurait amené par la suite à « chasser » des jeunes-femmes. Des proies, au sujet desquelles, malgré les regrets qu’il commence à exprimer, il ne s’est jamais vraiment préoccupé de savoir s’il pouvait leur transmettre le VIH, lui fait remarquer la juge d’instruction. Lui rappelant aussi ses menaces, ses paroles et ses gestes d’intimidations face à des victimes jeunes et vulnérables. Face à la magistrate parisienne, pour la première fois, confronté à la preuve indiscutable de l’ADN, il reconnaît aussi l’enlèvement et le viol de Clara* en 1998, à La Rochelle. Même s’il affirme que cela étant très vieux, il n’a plus tous les détails en tête. Toutefois, Bruno LLAMBRICH l’affirme haut et fort, il n’aurait jamais prémédité ou préparé le moindre délit, la « pulsion » pouvant s’emparer de lui comme ça, quand il était au volant. Le poussant à capturer une jeune-fille seule afin de l’emmener dans un lieu isolé, qu’il connaissait pour l’avoir déjà emprunté. Une position qu’il a bien du mal à maintenir, face aux questions de son interlocutrice, perplexe :
« je n’ai jamais fait de repérage, je partais me promener, puis je rencontrais une personne toute seule et là, la pulsion se manifestait. C’est quand je m’arrête pour demander une direction. C’est là que tout commence.
– Ne pensez-vous pas que vous avez créé les conditions pour que ces pulsions surviennent ?
– Oui, je déclenchais la pulsion en faisant cette recherche, cette promenade…
– Lorsque vous croisez les victimes, vous êtes plus ou moins dans l’idée de les agresser, est-on d’accord ?
– Tout à fait.
– Nous sommes donc d’accord pour dire que ce sont des passages à l’acte prémédités, préparés ?
– Oui. »
Interrogé ensuite sur la « pause » présumée de huit ans entre les viols de Sandrine* et Élisa*, là aussi, le suspect s’explique. Assurant à son interlocutrice ne pas avoir fait plus de victimes que les cinq déjà recensées par les enquêteurs et pour lesquelles son profil génétique a été établi. Justifiant sa « pause » de 2000 à 2008 par un emploi du temps bien rempli « A cette époque, j’étais en plein dans mon travail, j’avais des responsabilités. J’étais sur des sites de sorties et de rencontre. ». Et lorsque la juge lui fait remarquer qu’elle a du mal à le croire car entre 1998 et 2000, il a fait quatre victimes en un an et demi de temps, ce dernier minimise « Ça donne en effet l’impression que j’étais ‘en chasse’ tout le temps, mais c’est faux. J’agissais sous l’emprise du cannabis, parfois je fumais 10 à 15 pétards par jour ». Quant à sa nouvelle disparition des radars à partir de 2008, après le viol d’Élisa*, Bruno LLAMBRICH expose ensuite les raisons qui l’auraient poussé à arrêter, cette fois pour de bon, les agressions « j’admets que j’ai ressenti du plaisir à dominer cette jeune-fille apeurée, mais c’est aussi là que j’ai pris conscience de la gravité de mes actes. Je me suis dit ‘il faut arrêter, ça va aller jusqu’où ? Tu vas faire ça combien de fois et comment ? Ça m’a fait prendre conscience que je partais en vrille ». La juge de nouveau perplexe, face à ses propos, celui-ci justifie qu’il ait réussi à stopper la spirale infernale des agressions par un dernier argument : « Ce n’était pas le mal d’amour ou le manque sexuel qui m’ont fait faire ça, c’était occasionnel comme ça, ce n’était pas maladif, ce n’était pas un besoin crucial ». Quant à sa réaction dénuée de surprise ou même du moindre choc à l’arrivée des policiers chez lui, le jour de son interpellation, LLAMBRICH l’explique tout simplement par le fait qu’en son for intérieur, ayant pris conscience des progrès réalisés au cours des années dans les techniques de police scientifique, il s’attendait à ce que ce jour finisse par arriver : « J’ai fait du mal à beaucoup de gens. Souvent je pensais à ça. Je me demandais quand est-ce qu’ils vont m’arrêter. C’était presque un souhait. Je voyais de nouvelles lois passer, je me disais peut-être qu’ils vont me trouver. ». Enfin, creusant la période de l’enfance de son suspect, tentant ainsi de comprendre les raisons profondes ayant pu le pousser à devenir un tel agresseur, ce dernier met en avant un « contexte familial fortement incestueux ». Tout comme l’une de ses sœurs, Bruno LLAMBRICH accuse son grand-frère d’avoir abusé de lui alors qu’il n’avait que 8 ans. Des faits niés en bloc par ce frère, entendu par la suite. Puis il revient sur une enfance « compliquée », passée auprès d’un père intransigeant et aux penchants alcooliques, qui n’avait pas hésité à le placer en maison de correction, entre ses 10 et ses 14 ans. Ainsi que sur un parcours scolaire chaotique, qu’il terminera sans le moindre diplôme. Enchaînant par la suite les petits boulots, jusqu’à dégoter un emploi de chauffeur-livreur au début des années 1980. Mais plus tard, lors de son audition par les enquêteurs, une autre de ses sœurs l’accuse lui, Bruno, de l’avoir agressée sexuellement alors qu’il avait 19 ans et qu’elle n’était encore qu’une adolescente. Des faits que le prédateur des bois, lors de son dernier entretien avec la juge d’instruction, le 23 septembre 2023, nie farouchement, comme le rapporte le journal Le Parisien : « Ce que j’ai subi, je ne l’ai pas fait subir à mon travail, chez mes amis, sur les enfants de mes amis. Sur les crimes que j’ai commis, oui, voilà je reconnais, mais là, non ». Voulant conclure ce dernier entretien sur une bonne note, afin de lui prouver sa bonne foi, Bruno LLAMBRICH déclare même : « C’est important d’aller au tribunal. Je ne sais pas si c’est un comportement normal, mais je suis pressé d’entendre les victimes, les voir en face, de pouvoir vraiment m’excuser, c’est vraiment viscéral ».
Mais le prédateur des bois pensait-il ces quelques paroles ? Car six mois plus tard, dans la nuit du 19 au 20 mars 2024, ce dernier se donne la mort en se pendant avec ses draps dans sa cellule de la prison de Fleury-Mérogis. « C’est à la fois un drame pour lui, pour sa famille et pour les victimes qui attendaient un procès » résume son avocate, aux journalistes du Parisien. « Il avait toujours dit qu’il était désireux de s’excuser et de faire face aux femmes qu’il avait agressées. Il n’a vraisemblablement pas eu la force d’aller jusqu’au bout ». Par son suicide, Bruno LLAMBRICH éteint du même coup l’action judiciaire à son encontre et même si sa culpabilité ne fait aucun doute dans les cinq enlèvements suivis de viols qui lui sont reprochés, il restera à jamais « présumé innocent » par la justice. « Une nouvelle injustice pour l’ensemble des victimes », enrage l’avocat de Clara*, première victime connue du prédateur des bois, qui attendait beaucoup du procès qui devait se tenir. Un bien triste épilogue pour l’ensemble des protagonistes de cette affaire, soulevant désormais des questions sur la gestion de la détention provisoire et le suivi des détenus à risque. Mais qui du fait de sa spectaculaire résolution, fera, à coup sûr, date dans l’histoire judiciaire française. Ouvrant de considérables perspectives dans la résolution d’autres cold cases.