Les crimes de la RN20

« Cette affaire nous a durablement marqués et savoir l’assassin en liberté est insupportable […]. On la considère comme un échec » conclut Gilles Leclair, qui, en tant qu’adjoint au chef de la brigade criminelle du service régional de police judiciaire de Versailles au moment des faits, a enquêté sur les meurtres de la RN20.

Crimes de la RN20
1. Les faits et l'enquête

Ce qu’on appelle « les meurtres de la RN20 désigne un ensemble de quatre affaires criminelles françaises datant du début des années 1980, toutes intervenues aux abords de la RN20, entre Arpajon et Etampes, à quelques kilomètres les unes des autres.

Les victimes sont quatre femmes présentant des caractéristiques communes : parisiennes, auto-stoppeuses, jeunes, minces, aux cheveux blonds, retrouvées étranglées et nues. 

Les enquêteurs envisagent l’existence d’un tueur en série ayant sévi aux abords de la RN20, surnommé par la presse « l’étrangleur d’Etampes »« le tueur de blondes » ou encore « le sadique de la RN20 ». Il aurait ainsi commis les quatre meurtres suivants : 

Michèle Couturat

Prostituée charentaise de 17 ans, elle est retrouvée par un chauffeur routier, qui après avoir stoppé son camion au lieu-dit de Mondésir pour une pause technique, l’a vue pendue au bout d’une corde accrochée à une poutrelle métallique dans un château d’eau désaffecté à dix kilomètres d’Etampes, le 11 mars 1980. 

Identifiée grâce à un dentiste de La Rochelle, des témoins racontent l’avoir aperçue trois jours auparavant au niveau de la porte d’Orléans à Paris, où elle faisait souvent de l’autostop pour descendre dans le sud-ouest. 

Des traces de sperme sont relevées sur le corps de la victime, mais aucune piste ne se dégage. Son corps ne révèle aucune trace gynécologique de viol, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’ait pas été violée.

Sylvie Le Helloco :

Serveuse bretonne de 21 ans, elle est découverte entièrement nue sous une bâche en plastique à proximité d’une aire de stationnement située dans le lieu-dit de Rougemont, à 3 kilomètres du même château d’eau le 25 décembre 1980, par un adolescent de 15 ans qui se promenait. Le jeune homme expliquera avoir d’abord cru voir « un mannequin, comme dans les boutiques ». 

Aucune trace gynécologique de viol n’est retrouvée sur la victime, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’ait pas non plus été violée.

La veille, la jeune fille faisait de l’auto-stop au niveau de la porte de Saint-Cloud pour rentrer voir ses parents en Bretagne. 

Les enquêteurs, à l’époque dépourvus de traces exploitables, n’avaient pas d’autre choix que de s’en remettre aux témoignages recueillis : « On était obligé de privilégier l’humain puisqu’on n’avait pas beaucoup de science et de technologies à notre disposition », détaille encore Gilles Leclair.

Christine Devauchelle :

Mère de famille et concierge d’un immeuble sis rue Pascal à Paris, alors âgée de 26 ans, elle est retrouvée le 14 juillet 1982 vers 8 heures par des touristes, alors qu’ils garaient leur camping-car en bordure de la route, asphyxiée et recroquevillée à même le sol, à l’orée d’un bosquet près de l’aérodrome d’Etampes-Mondésir, route des Barguettes à Guillerval. 

Elle est en position fœtale « ce qui laisse à penser qu’elle a pu être transportée dans le coffre d’une voiture », estiment à l’époque les enquêteurs, qui ne peuvent s’empêcher d’établir un rapprochement avec les précédentes victimes.

L’état de décomposition est avancé en raison de la saison estivale. Selon le médecin légiste, la mort serait d’ailleurs intervenue le lundi 12 juillet. Aucune trace gynécologique de viol n’est retrouvée sur le corps de la victime, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’ait pas été violée non plus.

Selon son conjoint, Christine serait partie se promener et boire un café la veille au soir et ne serait jamais rentrée. L’homme suscite un temps les soupçons des enquêteurs en inventant d’abord un alibi : il a déclaré que sa voiture était en panne le soir des faits, alors qu’elle était bien en état de fonctionner. Un non-lieu sera finalement prononcé. 

Pascale Lecam

Étudiante bretonne de 21 ans, elle est retrouvée assassinée par un agriculteur à l’entrée d’un champ de Bruyères-le-Châtel, à 25 kilomètres de la RN20, le 7 août 1983. « J’ai cru qu’elle dormait » explique l’agriculteur.

Logée chez sa sœur avenue Ledru-Rollin à Paris où elle avait trouvé un emploi de secrétaire intérimaire, elle avait un rendez-vous ce jour-là dans le bar Saint-Germain dans le quartier de l’Odéon à Paris, qu’elle aurait quitté aux alentours de 23 heures. Elle était en compagnie un jeune homme, que les témoins décrivent comme brun et assez commun. 

Elle a été étranglée, torturée et frappée avec une pierre, puis tuée à coups de tournevis. Aucune trace gynécologique de viol n’est trouvée sur elle, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’ait pas été violée. La présence de mouchoirs disséminés par ailleurs autour du corps et tachés de sperme suggère une possible agression sexuelle. 

Cette fois, des traces très nettes de pneus de voiture sont laissées par le meurtrier.  Mais en dépit d’une enquête minutieuse, la police judiciaire ne retrouvera pas le suspect. 

Dans une interview récente, Gilles Leclair a enfin révélé l’existence probable d’un cinquième meurtre non élucidé, dans la continuité des précédents, qui aurait été commis à Châteauneuf-sur-Loire.

2. La piste Michel Fourniret

En 2006, le procureur de la République d’Evry, Jean-François Pascal, rouvre le dossier des quatre meurtres non résolus de la RN20. 

La police judiciaire examine l’hypothèse qu’ils aient été commis par Michel Fourniret, âgé de 42 ans au moment des faits. Ce dernier avait un temps pris l’Essonne comme terrain de chasse : 

– Il avait été condamné en 1987 à Evry pour plusieurs tentatives d’enlèvement d’adolescentes et atteintes à la pudeur dans le département, il habitait alors Saint-Quentin.

– Une Peugeot 504 aurait été aperçue près du même château d’eau, ce qui est attesté par des traces de pneus. Michel Fourniret, propriétaire d’un véhicule similaire, a admis travailler dans la région, fréquenter un garage d’Etampes et s’intéresser aux auto-stoppeuses. 

L’implication de l’Ogre des Ardennes « est une hypothèse très intéressante » avait reconnu alors Gilles Leclair : « nous cherchons actuellement un biais juridique pour rouvrir ces vieux dossiers prescrits »

La piste est ensuite abandonnée, et de nouvelles investigations sont menées.

3. Les prélèvements d'ADN

À l’époque des faits, l’analyse de l’ADN n’était pas encore utilisée en France. 

Comme indiqué ci-avant, tandis que des traces de sperme sont révélées sur le corps de Michèle Couturat, des mouchoirs souillés de sperme sont retrouvés près du corps de Pascale Lecam, sans pouvoir être analysés. 

Conformément aux procédures de l’époque, tous les scellés sont détruits à l’issue de chacune des instructions, à l’exception des trois mouchoirs jetables. 

Le mardi 29 juillet 2008, le parquet d’Evry demande que soient effectuées des analyses sur les mouchoirs tachés de sperme aux fins que soient reconstituées des traces biologiques. 

Dix mois plus tard, une correspondance est trouvée avec un homme inscrit au Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) pour « coups et blessures volontaires » : le jeudi 14 mai 2009, cette empreinte génétique mène à un certain Philippe L., né en 1963 et âgé de 46 ans au moment de son arrestation, sans profession, gravitant dans les milieux nomades des ferrailleurs. Petit délinquant condamné pour divers faits de violence, il fréquente un pub du Quartier latin à Paris, où Pascale Lecam a été vue vivante pour la dernière fois le 6 août 1983. 

Le suspect dément toutefois avoir tué la jeune femme : « Son implication dans le crime n’est pas établie », précise Jean-François Pascal, le procureur de la République d’Évry. 

Si des éléments permettent de suspecter l’individu, le fait que son ADN ait été retrouvé ne constitue « pas une preuve » de son implication. Les faits étant prescrits depuis 2003, les enquêteurs relâchent le suspect dont le profil ne correspond pas à celui d’un violeur. 

Pourtant le lundi 11 mars 2024, Philippe L. est condamné à huit ans de prison pour viol et agression sexuelle sur mineur dans un cadre intrafamilial par la cour d’assises de l’Essonne. 

4. La problématique de la prescription

Comme dit précédemment, les faits sont prescrits depuis 2003. Pourtant, les avocats des victimes sont toujours à la recherche d’actes susceptibles d’avoir suspendu le délai de la prescription. 

A ce titre, il est bon de rappeler qu’en matière de crime, et ce jusqu’en 1994, l’action publique se prescrivait par dix années révolues à compter du jour où le crime avait été commis ou à compter du dernier acte d’enquête(1), sauf en cas d’obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, ce qui avait pour effet de suspendre le cours de cette prescription décennale(2)

Le PCSNE examine actuellement la possibilité de se saisir du dossier, malgré cette prescription. Ce cold case français va-t-il finalement connaître un dénouement ? 

« Notre travail, c’est de trouver les suspects. J’ai encore espoir, c’est l’un des dossiers qui m’a toujours rongé l’esprit. C’est une vraie frustration professionnelle et surtout pour les victimes » exprime Gilles Leclair.

Victoria Christophorov pour association-avane.fr

1 Article 7 du code de procédure pénale (version en vigueur du 14 juillet 1989 au 1er mars 1994) : En matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite. / S’il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite. Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

2 Article 9-3 du code de procédure pénale : Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription.

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