L’affaire Bonfanti : une affaire de 39 ans au cœur d’un débat historique sur la prescription

Ce vendredi 28 novembre 2025, la Cour de cassation était pleine. Et cela tombe bien, une assemblée plénière s’y réunissait pour débattre d’une question sensible, celle de la prescription du crime de meurtre. Étaient présents les magistrats du PCSNE, des journalistes, les avocats du mis en cause (Me FARGE) et de la partie civile (Me BAUER-VIOLAS et Me BOULLOUD), la famille de la victime, etc

L’affaire Bonfanti et le point de départ de la prescription

En principe, la prescription commence à courir à partir du jour où le crime est commis. Mais que faire lorsqu’on ignore précisément ce jour ? C’est la question soulevée par l’affaire Bonfanti. En mai 1986, Marie-Thérèse Bonfanti, 25 ans, disparaît à Pontcharra (Isère) alors qu’elle distribue le journal. Sa voiture est retrouvée peu après, mais l’enquête, d’abord orientée vers une fugue, se conclut par un non-lieu en 1987, confirmé en 1989. L’affaire tombe alors dans l’oubli, laissant une famille brisée.

Plus de trente ans plus tard, en 2020, une enquête préliminaire puis une nouvelle information judiciaire est ouverte à la demande de la famille. En mai 2022, Yves Chatain, propriétaire de l’immeuble devant lequel la voiture avait été retrouvée, est placé en garde à vue et finit par avouer avoir tué Marie-Thérèse Bonfanti le 22 mai 1986, après une altercation. Des fragments crâniens, retrouvés là où il indique avoir abandonné le corps, correspondent à la victime.

Mis en examen pour enlèvement, séquestration et meurtre, il invoque la prescription. La chambre de l’instruction de Grenoble estime pourtant que le délai ne commence qu’en 2022, au moment des aveux, au regard d’obstacles qu’elle jugeait « insurmontables ». La chambre de la criminelle de la Cour de cassation casse cette décision, considérant que ces obstacles ne justifiaient pas la suspension de la prescription. La chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon vient faire appel de cette décision et rend un arrêt qui confirme que le délai de prescription n’était pas expiré et que l’information judiciaire pouvait donc se poursuivre. Elle justifie cette décision par le fait que la date du crime ne peut pas être déterminé avec précision et que donc le  point de départ de la prescription ne peut pas être défini. L’avocate d’Yves Chatain se pourvoit alors en cassation et c’est cette fois ci l’assemblée plénière qui doit répondre à la question suivante :

« Lorsqu’une personne a disparu, l’absence de scène de crime, l’absence de mobile apparent et la dissimulation du corps constituent-elles un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, de nature à interrompre la prescription ? »

L’association Avane assistait à cette audience d’importance historique. Le premier président a rappelé le déroulé, puis le rapporteur a exposé les faits, les décisions successives, les précédents (notamment les néonaticides : Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 novembre 2014, 14-83.739), ainsi que les enjeux juridiques.

Les avocats ont ensuite plaidé.

Me Farge, pour Yves Chatain, a insisté sur la distinction entre « obstacle insurmontable » et « infraction dissimulée ». Selon elle, aucun obstacle insurmontable ne peut être retenu puisque des poursuites ont eu lieu, dès 1986 puis plus tard, sans éléments nouveaux. Elle souligne qu’Yves Chatain n’a pas cherché à dissimuler son crime : il a agi en plein jour, n’a pas nettoyé la voiture, a laissé le corps sur le bord d’une route… Pour elle, neutraliser la prescription reviendrait à faire de celle-ci un « instrument de rattrapage ». Elle rappelle enfin que « le droit des victimes à obtenir une condamnation n’a pas de valeur supérieure à la prescription ».

Me Bauer-Violas, avocate de la famille, demande le rejet du pourvoi. Les restes retrouvés sont incomplets et ne permettent pas de dater précisément la mort, rendant impossible tout « délai butoir » pour la prescription. Elle invite la Cour à faire évoluer sa jurisprudence : là où, il y a trente ans, le temps effaçait les preuves, il est aujourd’hui un allié grâce aux progrès techniques.

Enfin, le procureur général Rémy Heitz, également favorable à la poursuite de l’information judiciaire, estime que le meurtre, dissimulé, « ne peut commencer à se prescrire tant qu’il est ignoré de tous, sauf de son auteur ». Il souligne aussi l’impact majeur de la décision pour sept dossiers du PCSNE, concernant neuf victimes.

La décision, cruciale pour la famille Bonfanti et pour de nombreuses autres, sera rendue le 16 janvier 2026 à 13h45, en audience publique. Une décision en faveur de la non-prescription pourrait créer une jurisprudence salvatrice pour des dossiers longtemps restés en suspens et offrir, peut-être, une étape vers la reconstruction des familles.

Une article de Rachel DIENSTAG-TESSIER pour  © association-avane.fr

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