Affaire Marlaine MARQUIS

Une disparition, trente-six ans d’ombre, et une question de prescription

Les faits que nous nous apprêtons à relater remontent à une nuit d’octobre 1989, dans la commune de La Chapelle-Souëf (Orne). Trente-six ans plus tard, ils pourraient bien faire évoluer l’interprétation juridique de ce qu’est un « obstacle insurmontable » en matière de prescription de l’action publique.

La disparition

En 1989, Pascal Delaunay, un bûcheron de 29 ans, déclare que sa compagne, Marlaine Marquis, alors âgée de 23 ans, a quitté le domicile conjugal sans leurs deux enfants — Victoria, 6 mois, et Valentin, 3 ans — pour rejoindre un amant, quelque part dans le sud de la France ou en Espagne, selon les interlocuteurs.

Cette version n’est pas remise en cause. L’entourage du couple, comme la justice, accepte l’idée d’un départ volontaire : il était de notoriété publique, y compris pour Delaunay, que Marlaine entretenait une liaison avec un homme surnommé « Mexico », rencontré lors d’un bal local.

Un rapport du service de protection de l’enfance du Conseil général de l’Orne, daté de novembre 1989, mentionne également ce départ sans contact ultérieur avec les enfants. Six mois plus tard, sans qu’aucune enquête sérieuse n’ait été menée, le tribunal pour enfants constate que « Valentin et Victoria ont été abandonnés par leur mère ».

2021 : les enfants brisent le silence

Il faut attendre l’été 2021 pour que l’affaire connaisse son premier tournant judiciaire. Devenus adultes, les deux enfants commencent à douter de cette version d’une fuite volontaire. Ils écrivent au procureur de la République pour signaler la disparition de leur mère.

« La démarche de ma cliente s’inscrit d’abord dans une volonté de comprendre ce qu’il s’est passé », précise alors Me Géraldine Vallat, avocate de Victoria.

Les vérifications engagées par la gendarmerie révèlent qu’aucun signe de vie n’a été relevé depuis 1989 : pas de trace bancaire, administrative ou numérique.

Une information judiciaire est ouverte en avril 2022. Un mois plus tard, Pascal Delaunay est placé en garde à vue. Face aux gendarmes de Bellême, il finit par avouer, après seulement deux heures d’audition :

« Je vais vous dire la vérité : j’ai tué Marlaine à cause de son amant. »

Selon ses dires, lors d’une violente dispute, il aurait étranglé Marlaine à l’aide du cordon d’un téléphone fixe dans leur chambre, puis aurait transporté le corps dans une cavité naturelle — une marnière — située sur la propriété d’un de ses clients, à proximité de leur domicile. Il affirme l’avoir recouverte d’une tôle.

Fouilles et constat d’échec

Les 28 et 29 juin 2022, quarante gendarmes sont mobilisés pour des fouilles à La Chapelle-Souëf. L’opération implique drones, pelleteuses, radars de sol (Lidar), quatre spéléologues du groupement national, deux anthropologues, trois techniciens en identification criminelle, ainsi que deux militaires du SIP (signal, image, parole) avec leur géoradar. Mais le corps de Marlaine reste introuvable.

« L’enquête est menée sous commission rogatoire du juge d’instruction d’Alençon. Des militaires et des réservistes sécurisent le site pour permettre aux spécialistes de travailler sereinement », explique alors le lieutenant-colonel Franck Piédagnel, adjoint au commandant du groupement de gendarmerie de l’Orne.

Maurice Boullay, premier adjoint au maire, s’étonne :

« On pensait qu’elle était partie avec un autre homme dans le sud… On ne s’attend pas à ce genre de drames dans nos petites communes. »

L’instruction judiciaire et la décision de non-lieu

À l’issue de sa garde à vue, Pascal Delaunay est déféré devant un juge d’instruction. Il est d’abord mis en examen pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire », avant que l’infraction ne soit requalifiée en « homicide volontaire ».

Mais l’espoir d’un procès s’éteint rapidement : le 21 janvier 2025, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Caen requiert un non-lieu, considérant que les faits sont prescrits.

Le juge suit cet avis : le 19 février 2025, il estime que rien ne permet de qualifier l’affaire d’« infraction occulte », comme l’espéraient les parties civiles. Il ordonne le non-renvoi devant la cour d’assises.

Cette lecture s’appuie notamment sur un arrêt de la Cour de cassation (Crim., 13 décembre 2017, n° 17-83.330), selon lequel la simple dissimulation d’un corps ne suffit pas à constituer un « obstacle insurmontable » aux poursuites.

L’appel et la relance de l’affaire

Refusant ce classement, la sœur de Marlaine, soutenue par son avocate, fait appel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Caen rend, le 20 mai 2025, une décision importante.

Elle infirme le non-lieu du 19 février. Selon les magistrats, l’infraction a été dissimulée, empêchant toute enquête pendant des années. Cela constitue bien un obstacle insurmontable justifiant la suspension du délai de prescription — qui ne commence alors à courir qu’à partir de la démarche des enfants, en mai 2022.

La cour ordonne en outre un complément d’information pour explorer la personnalité de Pascal Delaunay, point jusque-là inexploité.

Ainsi, en fixant le point de départ de la prescription à 2022, la chambre conclut que le délai de dix ans n’est pas écoulé, et qu’un procès est donc envisageable.

Me Céline Gasnier, avocate de la sœur de Marlaine, se réjouit :

« Cet arrêt satisfait pleinement ma cliente, sur les plans affectif, humain et moral. Elle n’agit pas par vengeance, mais pour que justice soit rendue. »

En face, Me Yasmina Belmokhtar, défenseure de Pascal Delaunay, tempère :

« Pour l’instant, mon client n’est pas renvoyé devant une cour d’assises. Si cela devait arriver, nous nous pourvoirons en cassation. Mais s’il doit comparaître, il assumera. »

Une jurisprudence parallèle : l’affaire Marie-Thérèse Bonfanti

Ce dossier fait écho à celui de Marie-Thérèse Bonfanti, disparue en 1986 à Pontcharra. Sa voiture avait été retrouvée, moteur tournant, sac à main intact. Soupçonné à l’époque, Yves Chatain est laissé libre, faute de preuve. Mais en 2020, l’affaire est relancée. En mai 2022, il avoue l’avoir tuée.

Se pose alors la même question : le délai de prescription commence-t-il à courir dès 1986 ou seulement à partir de ses aveux en 2022 ?

En janvier 2024, la chambre de l’instruction de Grenoble choisit la seconde option. La Cour de cassation annule l’arrêt, mais la cour d’appel de Lyon, en décembre 2024, confirme : prescription non acquise. La disparition, devenue inquiétante sans éléments probants, ne déclenchait pas encore le délai.

Un procès en suspens

Ces deux affaires illustrent un même principe : tant que la disparition n’est pas juridiquement qualifiée en infraction, la prescription ne peut courir. La chambre de l’instruction de Caen a acté cette position en mai 2025, renforçant l’idée que la dissimulation d’un crime constitue un obstacle juridique à part entière.

D’ici là, l’instruction se poursuit. Et Pascal Delaunay reste, en droit, présumé innocent des faits qui lui sont reprochés, jusqu’à ce qu’un éventuel procès tranche définitivement sa responsabilité.

Victoria Christophorov pour association-avane.fr

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