Le Pôle des cold cases : émergence d’une nouvelle stratégie judiciaire en France

Tribunal de Grande Instance de Nanterre

I. Un bilan en voie de réussite

1) La mise en place d’une nouvelle méthode proactive

Depuis de nombreuses années, les associations de familles de victimes et leurs avocats (tels Maîtres Didier Seban et Corinne Herrmann), les enquêteurs et les magistrats (tel Jacques Dallest) demandaient que soient développés un meilleur traitement des affaires sérielles ou non résolues, et une centralisation des dossiers et de leur prise en charge par une équipe pluridisciplinaire unique (magistrats, greffiers, experts judiciaires, officiers de police judiciaire) afin d’éviter la dispersion des informations et assurer un suivi rigoureux des dossiers.

C’est ainsi qu’en juillet 2019, a été créé un groupe de travail présidé par le procureur général de Grenoble, Jacques Dallest, à l’initiative du garde des Sceaux, pour réfléchir à l’amélioration du traitement judiciaire des crimes non élucidés, sériels et autres crimes complexes.

Les conclusions préconisées par ce groupe ont été restituées en mars 2021 sous la forme du rapport intitulé « Traitement judiciaire des affaires non élucidées, des crimes sériels et autres crimes complexes » qui comprenait notamment 25 recommandations. Parmi elles, figurait notamment la création d’un ou plusieurs pôles judiciaires spécialisés

La loi n° 2021-1729 pour la confiance dans l’institution judiciaire, votée le 22 décembre 2021, a entériné cette proposition en décidant de créer un pôle national spécialisé. 

Issu du décret n° 2022-67 du 20 janvier 2022, le Pôle des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE), a été officiellement inauguré le 1er mars 2022, près le tribunal judiciaire de Nanterre. 

Le PCSNE se veut être une source d’espoir pour les familles des victimes et un centre de ressources pour « conseiller » des magistrats confrontés à des affaires complexes. Pour Monsieur Dallest, les crimes complexes peuvent s’organiser en 4 catégories : 

Le PCSNE dispose d’un champ de compétence bien défini (article 706-106-1 du code de procédure pénale). En effet, il ne peut être saisi que pour des affaires criminelles aux investigations complexes – pouvant avoir un caractère sériel – avec un auteur non identifié 18 mois, après la commission de l’infraction. 

Le PCSNE exerce pour l’ensemble du territoire national, il a une compétence concurrente aux tribunaux territoriaux. 

Les dossiers examinés par le PCSNE lui sont transmis par différentes sources :

Certains faits auront facilement vocation à rejoindre le pôle alors que pour d’autres le pôle n’a pas vocation à être saisi ou à récupérer le dossier comme par exemple : 

Depuis sa création, en mars 2025, 434 procédures ont été examinées par le PCSNE et 117 ont été sélectionnées pour faire l’objet d’une instruction ou d’une enquête préliminaire. De plus, 12 personnes ont été mises en examen suite à ces nouvelles investigations, dont Dominique Pélicot.

Longtemps attendu par les familles des victimes de crimes mystérieux et non résolus ainsi que par leurs avocats, ce pôle constitue ainsi un point de contact essentiel permettant d’une part, de faire le lien entre des procédures complexes réparties sur l’ensemble du territoire, et d’autre part, de favoriser une entraide judiciaire européenne et internationale en vue de redonner aux victimes, à leurs familles et avocats, un espoir de vérité et de justice.

2) La mise en place de procédés innovants au service de cette ambition

Le PCSNE adopte une méthode proactive en intégrant des outils et des techniques modernes dans le traitement des affaires.

Au cours des dernières années, de nouveaux outils ont été également développés pour être utilisés par le PCSNE uniquement, tel que le dispositif d’appel à témoins dénommé « En quête d’indices » en mars 2024 (a) et le nouveau cadre procédural du “parcours criminel” (b).

a) Le dispositif d’appel à témoins dénommé "En quête d’indices"

Présenté par les ministères de l’Intérieur et des Outre-mer et de la Justice lors d’une conférence de presse organisée par Pascal Prache, procureur de la République de Nanterre, ce nouveau dispositif prend la forme de capsules vidéo, produites par la Délégation à l’information et à la communication du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer (DICOM) en collaboration avec la DICOM du ministère de la Justice et le PCSNE.

Elles sont diffusées sur le site internet du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer dans un espace digital dédié (https://www.interieur.gouv.fr/enquete-indices), et sont relayées sur les réseaux sociaux des deux ministères précités. 

Ces courtes vidéos, retraçant les circonstances des faits, ont vocation à recueillir de nouveaux témoignages dans des affaires de “cold cases” auprès du grand public, dans le cadre d’affaires de crimes sériels ou non élucidés suivies exclusivement par le PCSNE.

Conformément à l’article 11 du Code de procédure pénale le procureur de la République est autorisé à communiquer certains éléments objectifs tant de l’enquête que de l’instruction à titre exceptionnel, si cela est nécessaire à l’intérêt de la procédure. Aussi, au 1er alinéa de l’article 41 du code de procédure pénale : “Le Procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale” et au 1er alinéa de l’article 31 du même code : “Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité”.

En application de ces dispositions, le magistrat instructeur du PCSNE, en concertation avec les services d’enquête et le Procureur de la République saisi, sélectionnent les dossiers pouvant faire l’objet d’un appel à témoins “En quête d’indices” et décident de l’opportunité d’y avoir recours, et in fine, de sa date de diffusion.

Les informations collectées dans le cadre de ce nouveau format innovant d’appel à témoins sont ensuite exploitées par l’un des services d’enquête dédiés de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale ou de la Préfecture de police de Paris en fonction de l’unité en charge du dossier.

A titre d’illustration, au début du mois d’août 2025, le procureur de Nanterre, les services d’enquête de l’OCRVP et les enquêteurs de la police judiciaire de Nice, ont tourné une cinquième capsule d’appel à témoin au sein de la DICOM. La procureur de la République adjointe, Marie-Céline Lawrysz, n’a pas dévoilé le nom du dossier concerné. A ce stade, elle a seulement précisé qu’il s’agissait d’une affaire de meurtre irrésolu datant de 2001 et ayant eu lieu à Nice.

Maître Didier Seban a toutefois suggéré une piste pour améliorer ce dispositif lors d’une conférence de presse organisée par ses soins le 5 mars 2023 : “Toute solution qui pourrait apporter des réponses aux familles est une bonne nouvelle. Mais cet outil reste perfectible : il n’y a pas de sous-titre donc pour les malentendants ou les personnes qui consultent les vidéos dans le métro, c’est compliqué. Le ministère devrait prendre modèle sur les médias sociaux… Néanmoins c’est assez clair, assez bien fait”.

b) Le nouveau cadre procédural du “parcours criminel”

Pascal Prache, procureur de la République de Nanterre, précise que : “Le parcours criminel est une innovation juridique extrêmement significative. Elle ne peut être utilisée que par le pôle. Cela consiste à renverser la problématique : en temps normal, nous enquêtons à partir d’un fait. Nous nous intéressons alors au parcours du mis en cause, mais toujours en lien avec les faits dont on est saisi. Avec le parcours criminel, nous identifions des personnes qui ont été condamnées ou mises en examen pour une des infractions éligibles à la compétence du pôle, et nous retraçons tout leur parcours de vie : personnel, professionnel, géographique… L’objectif est d’identifier des faits qui pourraient potentiellement être en lien avec ce parcours criminel, y compris s’agissant de dossiers non traités par le pôle. L’idée est de lutter contre la sérialité »

Depuis décembre 2021, un nouveau cadre procédural a été mis en place et appelé “le parcours criminel” (article 706-106-4 du code de procédure pénale). Il s’agit d’une nouvelle méthode de résolution des affaires criminelles non élucidées, qui vise à partir de personnes condamnées ou mises en examen pour une ou des infractions éligibles à la compétence du PCSNE à réétudier des faits irrésolus qui pourraient éventuellement être en lien avec leurs parcours criminels.

Ce cadre procédural va ainsi permettre à un magistrat d’enquêter non pas sur un fait donné, comme c’était le cas jusqu’alors, mais sur l’ensemble du parcours de vie d’un mis en cause. Le parcours d’un criminel récidiviste sera mis en lien avec , des affaires non élucidées, ce qui permettra de découvrir  si une « personne disparue ou morte n’a pas croisé sa route », résume Maître Corinne Herrmann, qui y voit une « révolution » de « notre droit », avec une « approche plus anglo-saxonne ».

Avec le parcours criminel « on aurait pu voir que Jacques Rançon, le tueur de la gare de Perpignan, se trouvait dans la région d’Amiens au moment où il y a eu des disparitions dans cette zone […]. On aurait pu joindre les enquêtes plus tôt », affirme Maître Corinne Herrmann. 

II. Une montée en puissance à venir ?

1) Un bilan confronté à l’interdiction de la généalogie génétique : l’affaire Sabine Dumont

La généalogie génétique résulte de la collaboration entre des enquêteurs et des sociétés privées (principalement américaines) qui stockent, depuis les années 2000, l’ADN de millions de personnes, leur promettant de retracer leurs origines ethniques ou leurs liens familiaux. En comparant l’ADN retrouvé sur une scène de crime avec cette immense base de données, des protagonistes liés aux faits pourraient être plus facilement identifiés. 

Mais l’usage de ces bases de données se heurte au droit français. Pour rappel, l’article 16.10 du code civil prévoit qu’en France : “I. – L’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Il est subordonné au consentement exprès de la personne, recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen”.

Les tests génétiques ne sont donc autorisés en France que s’ils sont ordonnés par un juge, dans le cadre d’un test de paternité, ou par un médecin, dans le cadre d’un test génétique médical, et sous réserve du consentement de la personne.

En dehors de ces cas, les tests de généalogie génétique demeurent interdits en France, l’infraction étant passible d’une amende de 3750 euros.

Pour contourner cette interdiction, qui empêche les policiers français d’interroger eux-mêmes ces bases de données, la justice française doit passer par les autorités américaines via une demande d’entraide internationale. Cette procédure reste toutefois rarissime et n’a été utilisée pour la première fois qu’en décembre 2022, afin d’identifier Bruno Llambrich. Suspecté d’avoir violé sous la menace d’une arme cinq adolescentes entre 1998 et 2008, il avait laissé des traces ADN sans correspondance dans les fichiers français. Le FBI a permis de remonter jusqu’à lui par la généalogie génétique.

Maître Marine Allali, avocate de la famille de Sabine Dumont, attend beaucoup de ce procédé. Le corps de la jeune fille alors âgée de 9 ans, a été retrouvé violé et tué le matin du 27 juin 1987, à Vauhallan (Essonne), alors qu’elle allait acheter un tube de peinture. Du sperme et un ADN masculin non identifié ont été isolés sur ses vêtements, après des analyses effectuées au cours des années 1990. 

Après 38 ans de recherches infructueuses, le PCSNE a en effet lancé en juin 2023 une commission rogatoire à destination des États-Unis, pour que les autorités américaines puissent comparer l’ADN retrouvé sur les vêtements avec « toutes les bases disponibles » dans le pays. Mais, deux ans plus tard, aucune correspondance n’a été trouvée.

Le 30 juin 2025, une conférence de presse a été organisée au cabinet Seban. Maîtres Didier Seban et Marine Allali, avocats de la famille de Sabine Dumont ainsi que de ses frères et sœurs, ont annoncé à cette occasion que la généalogie génétique allait être utilisée dans l’enquête, et ont appelé à l’intervention du garde des Sceaux pour débloquer le blocage législatif.

2) Un bilan confronté à de nouveaux défis

Plusieurs pistes d’évolutions ont été enfin lancées par des différents acteurs depuis la création du PCSNE, qui méritent ainsi d’être rappelées ci-après :

Selon Jacques Dallest : “Il serait utile que La Chancellerie et l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) créent un outil de collecte commun en ce domaine”.

En favorisant une collaboration interinstitutionnelle, le PCSNE souhaite créer un précédent pour d’autres juridictions françaises : l’établissement d’une mémoire criminelle au niveau national et européen, pour garantir que toutes les voix, même celles effacées par le temps, puissent être un jour entendues.

Jacques Dallest explique qu’ “il serait primordial qu’une loi interdise la destruction des scellés dans les affaires de crimes ou de disparition”.

Il existe de nombreuses procédures où des scellés ont pu être détruits en raison des règles légales sur la durée de conservation, regrette en outre la lieutenante-colonelle Brunel-Dupin :  « Le système juridique n’avait pas anticipé que 20 ans après, des affaires allaient être retravaillées et élucidées ». La loi a évolué récemment avec l’interdiction de détruire les scellés d’une procédure criminelle 10 ans après la prescription, en revanche il semble que leur gestion au quotidien reste difficile voire archaïque.  

Maître Corinne Herrmann, qui travaille sur des affaires non élucidées, explique que : “Vérifier les enterrements sous X, c’est la première démarche que l’on fait dans une affaire de disparition : regarder le référencement des corps anonymes trouvés dans l’environnement de la disparition. Les réglementations imposent à la commune d’inhumer dans un délai précis, ce sont de vieilles dispositions qui remontent très loin dans l’histoire, quand les corps dans les rues représentaient un problème sanitaire. Il faut savoir que si le corps n’a pas été identifié au bout de cinq ans, il est détruit : il existerait 1 000 enterrés sous X chaque année*, et 150 crimes non résolus de plus. Il est impossible d’obtenir auprès du ministère des chiffres exacts. Il ne faut pas que ces données, et les histoires qui s’attachent à chaque histoire, s’enfoncent dans le temps”.

*Il est difficile d’obtenir le chiffre exact des enterrés sous X en France aujourd’hui mais des associations, comme l’ARPD ou le collectif des morts de rue, travaillent sur cette problématique pour mieux cerner l’ampleur du phénomène et y apporter des améliorations. 

Elle ajoute également : “j’ai participé à la rédaction de la circulaire d’application qui impliquait que tout devait être systématisé mais sur le terrain, nous en sommes toujours à l’étape d’expliquer aux légistes et aux juges le principe. Il convient par exemple d’entrer dans les registres du FNAEG les traces génétiques des corps non identifiés, mais également ceux des proches des disparus. Il faudrait qu’au sein de chaque cour d’appel, les corps trouvés et non identifiés soient localisés, créer un registre centralisé des corps non identifiés, ce ne devrait pas être aussi compliqué et faciliterait la tâche à bien des enquêteurs. Des tas d’ossements sont laissés au cimetière sans nom, des centaines d’affaires sont laissées dans les tiroirs sans résolution… comme s’il importait peu que tous aient été des humains”.

En définitive, selon elle, “créer un registre centralisé des corps non identifiés ne devrait pas être aussi compliqué”.

Selon l’avocat Didier Seban :  » les moyens ne sont toujours pas à la hauteur des ambitions « , comme il l’a indiqué à l’occasion d’une conférence de presse organisée le 5 mars 2023 en vue d’alerter la presse et le grand public sur le manque de moyens alloués au pôle de Nanterre.

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